Les Trente Glorieuses et les Trente Piteuses
Les trente glorieuses font rêver
Et si la croissance ne revenait jamais ?
L’Europe continentale, et la France en particulier, à la nostalgie des Trente Glorieuses, cette période exceptionnelle de trente ans qui va des années 1950 aux années 1970, et pendant laquelle le taux de croissance de la production en France flirtait avec les 5 % l’an, le double de la croissance américaine. La décélération fut ensuite graduelle mais continue : 4 % dans les années 1970, puis 3 % dans les années 1980, 2 % dans les années 1990, 1 % dans les années 2000. 0 % dans les années 2010 ? Aujourd’hui encore, on s’imagine souvent que la mauvaise parenthèse des “Trente Piteuses” (qui en réalité seront bientôt 35 voire 40 années), qui correspond à cette période de décélération, va bientôt se refermer, que ce mauvais rêve va se terminer, et que tout va recommencer comme avant.
Il est permis d’en douter si l’on s’interroge sur le pourquoi des Trente Glorieuses. Elles ont correspondu à un phénomène de rattrapage et de reconstruction après les deux guerres mondiales qui avaient détruit une partie significative du potentiel économique européen et français, comblant le formidable retard qui s’en était suivi. Si l’on prend une perspective historique encore plus vaste, les Trente Glorieuses et l’époque moderne apparaissent encore plus singulières. La croissance de la production totale mondiale a été nulle durant le premier millénaire de notre ère. Elle s’est péniblement hissée à 0,5 % l’an entre 1700 et 1820, à 1,5 %/2 % entre 1890 et 1950 puis 4 % entre 1950 et 1990. Elle devrait retomber en dessous de 2 % dès 2040, lorsque les transitions démographiques et économiques des pays émergents auront opéré. C’est très progressivement que certains économistes ont pris conscience de ce phénomène et du contexte exceptionnel dans lequel ont vécu les baby- boomers.
Mais ce n’est pas ainsi que les opinions publiques interprètent les Trente Glorieuses. Elles l’attribuent au fort interventionnisme de l’Etat qui les ont accompagnées, tandis que les Trente Piteuses sont assimilées à la mondialisation. Simple corrélation plutôt que relation de cause à effet. Il ne faudrait donc pas que les politiques se croisent les bras en attendant non pas Godot mais une reprise qui viendrait d’ailleurs. Car avec une croissance durablement faible – et tout indique qu’elle devrait l’être -, le chômage restera élevé, les systèmes de retraite ne seront pas à l’équilibre, et l’assurance maladie sera durablement en déficit. Bref, c’est tout le système de protection sociale qui doit être refondé dans un tel contexte. Il est donc plus que temps de réformer en profondeur.
Par Bertrand Jacquillat / Nouvel economiste