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Une Europe contre les peuples et la démocratie

Publié par medisma sur 14 Juillet 2015, 20:00pm

Une Europe contre les peuples et la démocratie

 

 

 

L'euro a accouché d'un monstre politique. L'humiliant accord imposé à Alexis Tsipras le démontre une fois encore : il n'est pas de marges de manœuvre politiques possibles dans une zone monétaire devenue l'otage des idéologues du libéralisme.

· Depuis dimanche soir,le hashstag #ThisIsaCoupest l'un des plus suivis sur Twitter. De l'économiste Prix Nobel Paul Krugman à l'ancien ministre grec Yanis Varoufakis, en passant par le souverainiste français Nicolas Dupont-Aignant, le #CestUnCoup canalise les indignations contre l'accord imposé par les Européens à la Grèce en échange de son sauvetage financier.

Coup d'État ? L'expression peut cristalliser les désaccords mais une chose n'est guère contestable : les « institutions européennes » ont bel et bien décidé de prendre le pouvoir en Grèce. La proposition du socialiste allemand Martin Schulz, président du Parlement européen, d'installer « un gouvernement de technocrates » à Athènes s'est ainsi réalisée de fait, au terme d'un week-end de négociations qui a vu l'Allemagne imposer de bout en bout sa ligne.

C'est la vraie démonstration de ce week-end : la zone euro et ses présumés critères de gestion ont accouché d'un monstre politique. Et ce monstre est en train de dévorer ce qui est au cœur même du projet européen : l'approndissement démocratique. La zone euro n'est plus l'Europe, elle est devenue une machine à balayer les peuples et à écraser la démocratie. Nous l'avions déjà expérimenté à l'automne 2011, quand deux chefs de gouvernement furent renversés sous les pressions des marchés et du duo Merkel/Sarkozy. Il s'agissait alors de Silvio Berlusconi et Georges Papandréou.

Cette fois, la démonstration est autrement plus violente parce qu'elle s'est faite de bout en bout sous les yeux des citoyens européens. Le premier ministre grec Alexis Tsipras se trouve de fait démis de ses fonctions, de la principale au moins, celle de conduire une politique économique ; c'est ce qu'explicite par le menu le texte de l'accord obtenu à l'arraché à l'issue de dix-sept heures de négociations.

Tsipras et la Grèce ne sont pas seulement humiliés ; le premier ministre est brisé politiquement tant il a été contraint d'abdiquer la plupart de ses demandes. Et si sa majorité parlementaire peut encore le suivre un temps, il ne fait nul doute qu'un bouleversement radical du paysage politique grec va intervenir dans les mois qui viennent. À Bruxelles, de nombreux dirigeants européens suggèrent déjà un remaniement, la mise en place d'un gouvernement d'union nationale, la démission des ministres jugés les plus radicaux…

 « Ils l'ont crucifié sur place », disait dimanche de Tsipras un responsable européen au Guardian. Un autre décrivait ainsi l'aparté Hollande-Merkel-Tsipras dans la nuit de dimanche à lundi : « Ils lui font du waterboarding psychologique », waterboarding, comme cette technique de torture utilisée par la CIA en Irak… Arrivé au sommet de la zone euro, Alexis Tsipras s'est trouvé pris dans un traquenard dont il n'a pu sortir qu'épuisé, livide et contraint d'accepter une reddition sans condition. Cela donne la mesure de la puissance du monstre politique « Euro ». Car en moins d'une semaine, Alexis Tsipras venait de réussir un triple exploit politique pour renforcer et élargir encore sa légitimité : un référendum largement gagné, le dimanche ; une déclaration politique commune de tous les partis grecs (à l'exception des néo-nazis d'Aube dorée), le lundi ; un mandat de négociation clair validé à une très large majorité par le Parlement grec, le vendredi.

Cette légitimité politique, dont pourraient rêver bien des dirigeants européens, a été méthodiquement brisée en seulement deux jours de réunions de l'Eurogroupe puis du sommet de l'euro. Car il est aussitôt apparu que les conditions techniques d'un éventuel sauvetage financier de la Grèce n'étaient pas le seul point à l'ordre du jour. Il s'agissait bien d'en découdre avec Alexis Tsipras et le nouveau pouvoir grec élu en janvier. Il s'agissait de mettre à genoux le seul gouvernement de gauche radicale en Europe. Démonstration d'autant plus nécessaire qu'en Espagne, Podemos apparaît toujours en mesure de devenir incontournable à l'issue des prochaines élections générales de l'automne.

Il fut donc dit et répété, tant samedi que dimanche, que le monstre « Euro » ne pouvait faire confiance à Tsipras et son gouvernement. « La confiance est rompue », « Il n'y a a pas de confiance », ce fut le refrain entonné par les dirigeants allemands, néerlandais, ne parlons pas même des Slovaques et des Finlandais. Et c'est la première phrase de l'accord issu du sommet : « Le sommet de la zone euro souligne la nécessité cruciale de rétablir la confiance avec les autorités grecques, condition préalable pour un éventuel futur accord. »

Dès lors, le plan grec présenté jeudi soir – propositions jugées « crédibles et sérieuses » par François Hollande – put être aussitôt déchiré – sans que la France ne trouve rien à y redire –, pour imposer à Tsipras la prise de pouvoir des institutions européennes. Peu importait samedi que ce plan grec porte des concessions majeures, des mesures d'austérité très importantes et des engagements de réformes multiples .

L'essentiel était dans la délégitimation de Tsipras, la destruction de son mandat de négociation, le refus d'intégrer ce que venait de produire le jeu démocratique grec.

Le résultat est un accord dont la lecture doit faire honte à tous les Européens. Car il décrit, dans la novlangue bureaucratique bruxelloise, comment va s'effectuer dans le détail la prise de pouvoir du monstre « Euro » à Athènes. « Cette liste de demandes est de la folie, note Paul Krugman. Elle n'est que punition, destruction complète de la souveraineté nationale, sans espoir aucun de redressement. »

Au-delà des mesures imposées, c'est bien la méthode qui apparaît tout aussi insupportable tant elle fait des gouvernements grecs de simples exécutants sous surveillance. Il y a d'abord le calendrier : ce qui doit être fait avant le 15 juillet, avant le 20 juillet, le 22 juillet, avant l'automne, etc. Le tout, chaque fois« avec vérification par les institutions et l'Eurogroupe ». Il y a ensuite le niveau de précision des réformes exigées qui doivent impérativement porter sur : « ouverture des magasins le dimanche, périodes de soldes, propriété des pharmacies, lait et boulangeries, à l'exception des produits pharmaceutiques vendus sans ordonnance qui feront l'objet d'une mise en œuvre à un stade ultérieur. »

Il y a également cette mise sous tutelle préalable à toute action gouvernementale : « Le gouvernement doit consulter les institutions et convenir avec elles de tout projet législatif dans les domaines concernés dans un délai approprié avant de le soumettre à la consultation publique ou au Parlement. » Et ultime vexation, il est exigé du pouvoir grec qu'il revienne sur certaines réformes adoptées depuis janvier : « Le gouvernement grec procédera à un réexamen en vue de modifier les dispositions législatives adoptées qui sont contraires à l'accord du 20 février puisqu'elles constituent un retour en arrière par rapport aux engagements pris au titre du programme précédent. »

Coup d'État ? Officiellement non, puisque le pouvoir grec, rendu impuissant, demeure en place. Mais dépossession et prise de pouvoir par le monstre « Euro », incontestablement. Dès lors, l'expérience grecque révèle à ceux qui en doutaient encore combien la zone euro est partie à la dérive, loin de toutes les valeurs qui ont fondé l'Europe, celles d'une Europe démocratique, sociale et solidaire. Et le débat qui fait rage depuis des années entre économistes est cette fois brutalement tranché : il ne peut y avoir de véritables marges politiques – ne parlons pas même de politiques économiques alternatives – dans un ensemble monétaire qui s'est transformé en un dogmatique carcan idéologique. Ce que Paul Krugman résume par cette formule : « Etre membre de la zone euro, cela signifie que vos créditeurs peuvent détruire votre économie si vous sortez du cadre. »

C'était de longue date le projet des responsables allemands, déjà réticents, il y a vingt ans, à sacrifier leur deutschemark pour un outil monétaire qu'ils ne contrôleraient pas : contraindre, au nom des vertus supposées de l'intégration, les pays membres à se ranger au seul et unique ordolibéralisme allemand .Exemple est ainsi fait avec la Grèce.

Les conséquences politiques de cette prise de pouvoir par les idéologues du monstre « Euro » promettent d'être catastrophiques. Pour les Grecs bien sûr, qui auront quelque mal à comprendre pourquoi il faut renforcer encore et encore une politique austéritaire qui a échoué sur toute la ligne depuis cinq ans. Pour les sociaux-démocrates européens ensuite, qui sont apparus, au pire, comme les supplétifs de la droite conservatrice allemande, au mieux, comme incapables de construire un rapport de force sérieux avec le tandem Merkel-Schäuble. Pour les citoyens européens enfin, qui voient depuis maintenant dix ans (le référendum sur le traité constitutionnel) la plupart de leurs votes foulés aux pieds par les dites « institutions ».

 

Par François Bonnet

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