Un roman avec six attentats un vendredi 13
Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), le 27 mars 2014. Julien Suaudeau a écrit « Dawa » en se fondant sur ses souvenirs de la banlieue, qu’il a sillonnée plus jeune au gré de ses matchs de foot et de boxe. (LP/Gwenael Bourdon.)
« Perturbant », « déroutant ». A l'autre bout du fil, Julien Suaudeau cherche ses mots pour exprimer son malaise. Celui d'un romancier rattrapé par la réalité, et la pire qui soit. C'est sur Internet, en suivant le match France - Allemagne, que l'écrivain français résidant aux Etats-Unis a découvert avec horreur les tueries du 13 novembre à Paris.
Mais à l'effroi s'est ajoutée la sidération. Car au fil des heures et des jours, le scénario des attentats s'est dessiné. Et il ressemble terriblement à celui que l'auteur avait bâti dans son roman « Dawa », paru en 2014 chez Robert Laffont. Julien Suaudeau y décrivait la préparation, par une cellule terroriste, de six attaques à Paris, prévues un vendredi 13, le tout sur fond de campagne électorale.
« Je n'ai pas réagi tout de suite, explique le père de famille, joint par téléphone à Philadelphie. J'ai d'abord été sous le choc comme tout le monde. J'ai pensé aux proches, aux amis. J'étais bouleversé, en colère, triste. Et puis j'ai compté le nombre d'attaques, j'ai repéré d'autres similitudes, peut-être moins frappantes : la présence d'une fratrie parmi les terroristes, et même celle d'une jeune fille originaire de la cité des 3 000 à Aulnay-sous-Bois. »
D'autres que lui, lecteurs et journalistes, ont eux aussi été frappés par ce faisceau de coïncidences. Alors Julien Suaudeau prend soin de désamorcer toute interprétation farfelue : « Il n'est pas question de dire que j'ai écrit un livre prophétique ! Ni de penser que le roman a servi d'exemple aux terroristes. S'ils avaient lu ne serait-ce qu'un seul livre, le Coran dont ils se réclament, ils n'auraient jamais commis ces attentats. Je peux juste dire, sans être présomptueux, que Dawa était un roman vrai, fondé sur une connaissance précise de la société française, des banlieues aux beaux quartiers. »
Le tableau d'une France mal en point
La critique avait salué à sa sortie cet ouvrage à la fois sombre, minutieux et haletant, où se croisaient un professeur agrégé déterminé à frapper la France au cœur, un policier guidé par l'esprit de vengeance, une candidate ambitieuse, des jeunes des cités sur le fil. Julien Suaudeau y brossait le tableau d'une France mal en point, étrillant au passage les politiques et leurs petits arrangements. Mais il ne s'agissait « que » d'un roman, insiste-t-il : « Si j'avais voulu parler politique, j'aurais écrit une tribune ou un pamphlet. » Il l'a fait parfois, et aurait bien des choses à dire sur les mesures prises par le gouvernement français : « Fermer les frontières ou menacer de déchoir de leur nationalité des terroristes qui se fichent de leur passeport, ça ne résout rien. On a affaire à des Français qui attaquent des Français. »
Mais il s'avoue dépassé par la dimension nouvelle que prend « Dawa ». « C'est compliqué de voir que mon livre rencontre un tel écho. Je serais malhonnête de dire que je le vis bien. Mais je ne vais pas faire mine de m'étonner. Le sujet qui m'intéresse, c'est la violence du monde d'aujourd'hui. C'est cette violence qui donne une résonance particulière à cette fiction. »
Elle imprégnait aussi son dernier roman, sorti en août. Dans « le Français », le narrateur, un jeune provincial livré à la brutalité de son milieu, sans repères, prend insensiblement la route du jihad. Cela sonne aussi diablement vrai. Julien Suaudeau n'en tire ni vanité ni inspiration. Juste le sentiment terrible d'avoir touché juste.
· Source : leparisien.fr
« Dawa » de Julien Suaudeau, Editions Robert Laffont, 491 pages, 21 €.