Le rapport qui assassine les banques françaises
Le think tank libéral GénérationLibre s’attaque à l'"oligopole bancaire" en France. La Fédération bancaire française n'a pas tardé à réagir.
Le think tank libéral Génération Libre s'attaque au système bancaire français DAMIEN MEYER / AFP
Après la Caisse des dépôts et Bpifrance, le think tank libéral GénérationLibre dirigé par Gaspard Koenig s’attaque au…. système bancaire français. Très fourni, ce document de 74 pages a été rédigé, par un groupe d’experts et d'"insiders" qui hélas resteront anonymes. Ce qui n’enlève rien à la qualité de l’étude, et lui permet d’avoir une liberté de ton certaine. GénérationLibre n’hésite pas à évoquer d’entrée un "oligopole", le rapport étant carrément titré: "Casser la rente bancaire française. Pour un système bancaire plus sûr, plus concurrentiel, et plus européen".
Selon les auteurs "l’oligopole bancaire est porteur de risque systémique et échappe largement au regard critique de l’opinion et des medias". Les auteurs s’en prennent particulièrement aux pouvoirs publics qui soutiennent implicitement ces acteurs aussi bien au niveau national que via la Banque centrale européenne (BCE). Il est rappelé que selon les travaux du prix Nobel d’économie Robert Engle, trois des six institutions financières les plus "systémiques" du monde sont françaises, la plus exposée étant BNP Paribas. Le Crédit agricole et BPCE (Banques populaires-Caisses d’épargne) en prennent aussi pour leur grade, puisqu’elles jouissent d’une rente spécifique avec une "faible rémunération du capital et l’absence de risque d’OPA".
Trop grosses, top protégées, ces institutions doivent aujourd’hui se remettre en cause "le gigantisme bancaire étant générateur de risques catastrophiques, ce qui appelle la vigilance". L’une des principales rentes dont bénéficient les "mastodontes" français, est le marché des particuliers, l’un des moins concurrentiels d’Europe. GénérationLibre constate ainsi "l’existence de pratiques tarifaires contestables, voire très choquantes, de la part des banques françaises" y compris sur la gestion d’actifs. Une situation "guère contestée par les autorités publiques". En ce qui concerne le marché des clients professionnels, la situation serait pire, l’étude évoquant un "matraquage".
Pour assainir la situation, GénérationLibre fonde beaucoup d’espoir dans "l’ubérisation": "Les nouvelles technologies, et le nouveau rapport aux services qu’elles permettent, condamnent à terme le maintien des rentes". La montée de la désintermédiation et des financements non bancaire est également saluée comme un progrès. Mais la principale urgence est la mise en place de la "séparation bancaire", (banque de détail-banque d’investissement) bloquée par le Parlement européen depuis mai 2015 et la relance d’une vraie politique de la concurrence dans le secteur.
En conclusion GénérationLibre fait 18 propositions pour la réforme du secteur qui pourraient être regroupées dans une "loi Macron de la banque" permettant notamment de faciliter l’arrivée des Fintech ou de créer un fichier positif, permettant d’améliorer la relation avec les clients. Une plus grande transparence tarifaire, notamment pour les clients PME, est également proposée. Le mérite du rapport est de faire avancer le débat, largement ouvert avec la crise de 2008, mais qui semble s’être refermé. La campagne présidentielle est un cadre propice pour secouer un peu nos amis de la finance.
Marie-Anne Barbat-Layani, qui dirige la Fédération bancaire française (FBF), n’a pas tardé à répondre à la diffusion de cette étude qu’elle considère, « a minima comme très contestable sur l'analyse concurrentielle : les taux de crédit immobilier comme conso sont en France les plus bas d'Europe ! La concurrence est féroce et la Banque de France s'inquiète régulièrement des taux pratiqués... ».
Sur la « séparation des banques »: la FBF y reste fermement opposée en qualifiant cette idée de « mythe qui n'a été mise en œuvre nulle part et n'a jamais été une priorité pour les superviseurs qui se sont plutôt inquiétés de ses conséquences opérationnelles. Le seul endroit où on semble le faire c'est au Royaume-Uni- et encore: où en est vraiment le projet Vickers ? - et c'est un choix clair de sacrifier la banque de détail au bénéfice de labanque de la City. »
Sur la fragilité des banques françaises: « En Europe, les problèmes se posent aujourd'hui dans les systèmes bancaires non consolidés : comme le montre notamment les faillites de 4 petites banques italiennes récemment. Les systèmes bancaires fragiles sont plutôt ceux-là, et ce sont aussi ceux qui ont le plus de mal à financer activement l'économie et les entreprises. » La France rappelle Marie-Anne Barbat-Layani est le « pays où la consolidation bancaire a bien eu lieu et est le seul pays de la Zone euro ou la crise financière n'a pas eu de coût net pour le contribuable (étude BCE de novembre 2015) ».
Sur le surdimensionnement des banques françaises: « Les banques américaines sont plus grosses post crise qu'avant crise, et on continue à s'inquiéter de la taille des banques en Europe et en France ; elles gagnent des parts de marché en Europe ce qui commence à interroger les think tanks européens sérieux comme Bruegel, car en Europe continentale on n'a pas de pétrole mais on a de l'épargne...encore faut-il qu'on ne se la fasse pas siphonner pour financer les déficits publics et privés américains, et donc qu'on ait des acteurs financiers et des centres de décision en Europe. Les pacifistes sont à l'Est et les missiles à l'Ouest... »
Par Pierre-Henri de Menthon