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"Plus Valls est faible sur le fond, plus il est dur sur la forme"

Publié par medisma sur 5 Juillet 2016, 20:39pm

Martinez et Thibault: «Plus Valls est faible sur le fond, plus il est dur sur la forme»

Entretien croisé avec Bernard Thibault, l'ancien homme fort de la CGT, et son successeur Philippe Martinez, sur la loi sur le travail et la mobilisation syndicale.

 Nouvelle manifestation prévue ce mardi 5 juillet, seconde lecture à l'Assemblée nationale, nouveau recours possible au 49-3… La loi sur le travail continue de mobiliser syndicats, gouvernement et parlementaires. Entretien croisé avec Bernard Thibault, l'ancien homme fort de la CGT, et son successeur Philippe Martinez.

Nouvelle manifestation ce mardi 5 juillet à Paris contre la loi sur le travail. Ce sera la dernière de l’été mais pas la fin du mouvement, selon l’intersyndicale (CGT, FO, FSU, Solidaires, Unef, UNL et Fidl) qui combat depuis quatre mois le projet de réforme du code du travail qui arrive ce mardi en deuxième lecture à l’Assemblée nationale et que le gouvernement menace d’adopter par un nouveau 49-3.

 « L’usage du 49-3 est un signe de très grande faiblesse », estime Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT. À ses côtés, l’ancien homme fort de la centrale de Montreuil Bernard Thibault, qui a dirigé pendant 14 ans le syndicat, aujourd’hui membre du conseil d’administration de l’Organisation internationale du travail (OIT), n'en pense pas moins : « Plus on est faible sur le fond, plus on a tendance à être dur sur la forme. C’est le cas de Manuel Valls. » Entretien croisé avec les deux figures de la centrale syndicale.

 

- Le projet de réforme du code du travail revient ce mardi à l’Assemblée nationale, en deuxième lecture. Avec toujours le très controversé article 2, qui consacre la primauté des accords d’entreprise sur les accords de branche. Ne sachant plus comment se sortir de la crise, le gouvernement promet un renforcement des branches. Vous y croyez ?

Philippe Martinez : Ce sont de toutes petites avancées, fruits de la mobilisation. Mais cela reste très maigre. Sur la question de l’égalité femmes-hommes, par exemple, une loi existe depuis des années. Que les  branches soient renforcées pour que cette loi soit enfin et mieux respectée au niveau des entreprises, c’est une chose importante. Mais pourquoi n’y ont-ils pas pensé plus tôt ? Sur le fond, il n’y a pas d’évolution. Il y a toujours matière à déroger très largement sur l’organisation et le temps de travail. Le gouvernement ne plie pas. Il assume même de généraliser le dumping social quand on a posé la question au premier ministre.

- La France syndicale est coupée en deux. D’un côté, la CFDT et la CFTC. De l’autre, les opposants : vous et Force Ouvrière, réunis dans une intersyndicale avec cinq autres organisations et la CFECGC. La stratégie de division du gouvernement a payé ?

Philippe Martinez : Ce qu’il y a de sûr, c’est que ce n’est pas la CGT qui est isolée. Elle participe depuis quatre mois à une intersyndicale. Et cela fait longtemps — Bernard peut le confirmer — que le syndicalisme français n’avait pas connu une telle unité syndicale sur la durée. La CGT n’est pas isolée non plus vis-à-vis de l’opinion publique. Semaine après semaine, malgré tout le matraquage en défaveur du mouvement, une majorité de Français, plus de 70 %, est contre ce texte. Ils sont 85 % chez les jeunes de moins de 25 ans.

- Ce conflit dure depuis quatre mois. C’est le plus long depuis ces quarante dernières années. Bernard Thibault, vous avez dirigé la CGT pendant quatorze ans dont dix sous la droite. À l'automne 1995, au bout de trois semaines de grèves et blocages, vous faisiez plier le gouvernement Juppé. Est-ce plus facile de lutter sous un gouvernement de droite que de gauche ?

Bernard Thibault : Chaque conflit se déroule dans un contexte particulier et sous des gouvernements différents. En 1995, le réseau ferroviaire était bloqué intégralement. Pendant trois semaines, il n’y avait plus un train, plus un métro. L’impact était très lourd. Nous avions un soutien très fort de la population. Même les entreprises voulaient que le conflit se termine car cela devenait invivable. En 2010, c’étaient des manifestations “temps forts” qui réunissaient un grand nombre de personnes mais peu de secteurs arrivaient à entretenir une grève. On a même organisé des manifs les week-ends pour que les salariés du privé viennent. Aujourd’hui, c’est très différent. Je n’ai pas connu un mouvement installé aussi durablement dans le temps où, malgré la désinformation, une majorité de la population reste hostile au texte de loi.

-Mais est-ce plus facile de faire plier un gouvernement de droite que de gauche ?

Bernard Thibault : Plus qu’une question de droite ou de gauche, c’est une question d’attitude politique. Plus on est faible sur le fond, plus on a tendance à être dur sur la forme. C’est le cas de Manuel Valls.

Philippe Martinez : Oui, plus on est faible, plus on est dur. En 1995, Chirac arrivait au pouvoir, sa majorité était toute fraîche et forte. Là, on est obligé de passer avec un 49-3 alors qu’on a une majorité. C’est un signe de très grande faiblesse. Et puis on est très proche d’une échéance électorale, d’une présidentielle. Il s’agit de montrer ses muscles par des postures autoritaires pour brouiller les frontières classiques gauche-droite. Il y a des enjeux de pouvoir qui dépassent le mouvement social et qui font passer l’intérêt général des citoyens après des intérêts personnels. C’est inédit.

Bernard Thibault : Il y a aussi pour ce gouvernement le contrecoup de la déchéance de nationalité qu’il n’a pas réussi à faire passer. Avec la réforme du code du travail, qui ne figurait pas dans le programme de Hollande, il s’agit de prendre une revanche, de ne pas échouer une deuxième fois.

- Le gouvernement est déterminé à aller jusqu’au bout et à faire passer sa loi. L’ombre d’un nouveau 49-3 plane à l’Assemblée nationale. Vous croyez encore à un CPE bis ? Qu’est-ce qui se passe à la CGT si la réforme passe ? C'est une défaite ?

Philippe Martinez : Chaque fois que le dialogue est renoué, qu’une porte s’ouvre, un membre du gouvernement menace d’un 49-3. Le 49-3, au-delà du déni de démocratie, c’est une volonté de nous dire : “C’est fini, rentrez chez vous, la loi passera coûte que coûte.” Mais le mouvement ne s’essoufflera pas ainsi. La votation citoyenne dans les entreprises va dépasser le million à l’ouverture des débats à l’Assemblée nationale. Une autre loi célèbre a été promulguée mais n’a jamais été appliquée : le CPE en 2006. Tout l’été, il y aura des campagnes, des actions avec les autres syndicats et, à la rentrée, nous serons encore là. Cette loi génère un mécontentement immense. Des copains de La Réunion viennent de gagner, après dix ans de bataille, que l’île entre dans la convention collective des garages parce qu’on leur disait “La Réunion, ce n’est pas la France”. Et cette loi va potentiellement foutre en l’air leur combat !

-La CGT n’a plus la même capacité à bloquer des pans entiers de l’économie. Un des arguments du gouvernement pour affirmer que le mouvement s’essouffle : la France n’est pas bloquée. Faut-il paralyser le pays pour peser dans le rapport de force et obtenir gain de cause ?

Bernard Thibault : Les premiers à dénoncer les blocages en usant des termes “preneurs d’otages” ou “terroristes” s’appuieraient sur le fait qu’il n’y a pas de blocage pour justifier de ne pas reculer ? C’est une vision politique bien dangereuse.

Philippe Martinez : On ne peut pas nous reprocher de bloquer le pays et quand il y a moins de blocage, de dire “ah ben, le pays est pas bloqué”.

-Toujours est-il que les mobilisations dans la rue ne drainent pas les foules qu’on avait pu voir notamment lors de l’opposition au CPE…

Philippe Martinez : Depuis quatre mois, des millions de salariés se sont mis en grève. Dans le privé, c’est très difficile de se mettre en grève. Certains ont fait une manif sur trois, d’autres quatre, cinq, six. Dans des entreprises, des avancées ont été acquises. Des directions ont lâché des primes en disant que cela n’a rien à voir avec la loi sur le travail. Ce mouvement social est très ancré dans la société contrairement aux dires du gouvernement et du patronat consistant à le réduire à l’œuvre d’un groupuscule de gauchistes qui essaie de prendre la France en otage.

- Répression policière extrême, casseurs, locaux de la CFDT puis de la CGT vandalisés… La violence — physique mais aussi verbale — est omniprésente dans ce mouvement. « Lider Maximo », « Zapata », « Fidel Castro »… Vous avez été, Philippe Martinez, la cible de toutes les accusations. Comment expliquez-vous cette débauche de violences ?

 Bernard Thibault : Je n’ai pas souvenir d’une telle violence à l’égard d’un secrétaire général, même en remontant à Henri Krasucki (1982-1992) qui était très caricaturé ou à Louis Viannet (1992-1999). Il y a eu Georges Séguy (1967-1982) mais nous étions en Mai 68, c’était une autre époque. Moi, je n’ai jamais connu un tel déferlement. La CGT en a toujours pris plein la figure mais là on dépasse toutes les proportions en employant des termes très connotés dans le contexte politique national et international, très marqué par la menace terroriste. C’est un phénomène nouveau et très inquiétant, qui plus est sous un gouvernement réputé de gauche.

 Philippe Martinez : Il y a une tentative de personnalisation pour des raisons politiciennes du conflit, de le réduire à un bras de fer entre Valls et moi. Quand on me traite de terroriste, je pense au mari de notre camarade, secrétaire de l’union locale de Sevran (Seine-Saint-Denis) abattue au Bataclan le 13 novembre. Il m’a envoyé un petit mot de soutien et parce qu’il sait ce qu’est un terroriste. C’est inacceptable de la part de Gattaz mais aussi du gouvernement, de Valls en premier, qui veulent nous discréditer. Bernard Thibault : Tout en souhaitant qu’à l’avenir la CGT ne soit plus le premier syndicat du pays et que ce soit incarné par un autre syndicat qui serait plus intelligent… Inconnu jusqu’à ce mouvement social, vous êtes, Philippe Martinez, devenu l’icône de la contestation, de la radicalité, quand vous, Bernard Thibault, étiez perçu comme un homme de compromis voire un réformiste. Ce sont deux lignes qui s’affrontent au sein de la CGT…

 Bernard Thibault : Tous les responsables syndicaux ont plein de qualités une fois qu’ils ne sont plus en responsabilité. Mais quand ils sont en responsabilité, ils ont tous les défauts de la planète. C’est un classique.

Philippe Martinez : On est dans la caricature mais avec un objectif : déstabiliser en interne la CGT. Vous ne répondez pas à la question. Vous incarnez l’un et l’autre deux lignes différentes y compris pour les militants CGT…

Philippe Martinez : On est toujours le dur de quelqu’un et le mou d’un autre. Je suis dans la continuité de ce qu’ont construit les précédentes directions et secrétaires généraux. Récemment, j’ai mangé avec Louis (Viannet). On arrive à discuter sauf que le salariat n’est plus le même. En 1995, il n’y avait pas Uber, la précarité n’était pas à ce niveau, ni l’éclatement des entreprises, des services publics.

-C’est l’une des séquences qui fera date : l’interdiction d’une manifestation finalement autorisée le 23 juin sur un parcours imposé par l’État…

Bernard Thibault : Je n’avais jamais connu une pareille séquence. Et pourtant, j’ai connu des manifs très tendues. Celles de 1979, quand les sidérurgistes lorrains sont montés à Paris où un flic avait été pris en flagrant délit au milieu des casseurs — il avait gardé sa carte de police dans sa poche. Plus proches de nous, les manifs contre le CPE étaient très tendues. Des jeunes voulaient en découdre. Il y avait eu une coopération plus étroite et intelligente entre les forces de l’ordre et les organisateurs que ce que nous connaissons aujourd’hui pour que le droit de manifestation se déroule avec les garanties d’ordre public.

-Cette attitude du gouvernement est d’autant plus spectaculaire qu’elle montre le peu de cas qu’il fait des engagements internationaux de la France. Le droit de manifester est une liberté fondamentale que surveillent les institutions, notamment l’Organisation internationale du travail (OIT). Les pays qui ont tendance à interdire, c’était plutôt la Tunisie de Ben Ali, l’Iran… C’est comme la menace de réquisitions du ministre des transports et du premier ministre qui n’ignorent pas la jurisprudence du mouvement des retraites de 2010 quand Sarkozy avait procédé à des réquisitions de raffineries et que nous avions obtenu gain de cause devant l’OIT.

 Philippe Martinez : Face à ce climat malsain, il y a eu un sursaut républicain au-delà des organisations syndicales le 23 juin et c’était rassurant. C’est vrai qu’on ne pense pas à la France mais à d’autres pays devant une interdiction de manifester.

- Depuis le 23 juin, au nom de la sécurité des personnes et des biens, les manifestants sont fouillés avant de pouvoir manifester. Le 28 juin, au contrôle systématique des sacs, s’est ajoutée la palpation des pieds à la poitrine. Ce dispositif est-il nécessaire ?

Philippe Martinez : Même moi, j’ai eu droit à une fouille au corps le 28 juin. Cela a failli provoquer une émeute car, derrière, les gens ne comprenaient pas pourquoi les CRS s’en prenaient même au secrétaire général de la CGT dont la photo fait la Une depuis des mois. C’est une volonté d’impressionner et d’intimider ceux qui veulent manifester. C’est très sûrement un compromis interne au gouvernement mais c’est inadmissible.

 Bernard Thibault : Je n’avais jamais manifesté ainsi. C’est la première fois que je vis cela en France. Que ce soit le 23 juin à Bastille sur un parcours imposé mais aussi en étant systématiquement dans des couloirs encadrés avec une telle proximité avec les forces de police. On pense à certains pays d’Europe centrale mais à l’inverse, c’est pour protéger des manifestants contre des contre-manifestants qui veulent empêcher des forces démocratiques de s’exprimer. C’est donc plutôt un bouclier de protection quand, ici, c’est un bouclier d’enfermement. Manifester avec une telle proximité physique avec la police, c’est créer de la tension.

Philippe Martinez : C’est là encore le signe de la faiblesse du gouvernement. On veut montrer qu’on est costaud, qu’on ne cède pas à la pression, alors on met des CRS partout, pour dire aux syndicats : on va vous mater.

-Partout, en Europe, le syndicalisme est fragilisé. Est-ce qu’un mouvement social comme celui-ci peut le renforcer ou l’affaiblir encore ?

 Bernard Thibault : Les mobilisations sociales sont plutôt favorables au mouvement syndical. Cela peut même s’accompagner de créations de sections syndicales. Sur le plan international, la CGT est plutôt bien vue. Je côtoie des responsables syndicaux du monde entier qui sont assez étonnés de voir des syndicats français accompagner ce processus de réforme du code du travail et de décentralisation de la négociation sociale au niveau des entreprises. Car il n’y a pas un pays au monde où on peut faire la démonstration à l’expérience que la décentralisation de la négociation s’est accompagnée d’une promotion de l’implantation syndicale, contrairement à la fable que nous racontent Hollande dans Les Échos ou El Khomri et Valls. Le seul phénomène constaté partout, c’est la précarité croissante pour les travailleurs.

-Lors des prochaines élections professionnelles, la CFDT pourrait bien vous ravir la première place et devenir le premier syndicat de salariés. La CGT peut-elle sortir renforcée de ce mouvement social ?

Philippe Martinez : Nous ferons le point à la fin de l’année. On a perdu une élection et elle est utilisée partout : Monoprix. On est en train de vérifier la régularité du scrutin car 100 % des cadres ont voté, du jamais vu. Dans certains magasins, il y a même eu des créations spontanées de sections syndicales. On accepte, cela dit, le résultat. Mais il n’y a pas que Monoprix dans la vie. À Alès, chez Schneider Electrics, un bastion de la CFDT, la CGT vient de l’emporter. D’autres élections ont été gagnées à Hop, filiale d’Air France, à Ouibus, filiale de la SNCF. FO aussi progresse. La CFDT, elle, perd des plumes.

-Vous avez, Bernard Thibault, accueilli en 2003 les militants de la CFDT qui ont claqué la porte après que leur centrale eut soutenu la réforme Fillon des retraites. Espérez-vous connaître un nouvel épisode de cette ampleur, que des sections CFDT vous rejoignent ?

Bernard Thibault : La CFDT a depuis l’épisode Fillon beaucoup révisé son règlement interne. Et contrairement à une idée très répandue, très installée, ce n’est pas la CGT qui est l’organisation syndicale la plus rigide, monolithique et la moins démocratique. Lorsqu’une ligne est arrêtée à la CFDT, il faut la respecter, sinon ce sont des menaces d’exclusions, de privations de moyens.

Philippe Martinez : Nous n’avons pas de fédérations importantes qui basculent mais des sections qui nous rejoignent ou des départs individuels discrets. Lors de la manif du 23 juin, une militante de la CFDT est venue me demander si elle pouvait défiler avec le service d’ordre intersyndical ! Laurent Berger a beaucoup polémiqué avec le gouvernement, “nous, on a gagné Monoprix, on fait ci, on fait ça”. Je ne veux pas rentrer dans ce jeu. Il est plus sain de débattre ensemble comme on l’a fait, malheureusement une seule fois, sur une radio. Moi j’ai jamais dit non. Lui, il a beaucoup hésité mais il n’a pas refusé comme Myriam El Khomri qui ne veut pas débattre avec moi. Au moins, dans ces débats, on parle de la loi, du fond. C’est mieux que de se balancer des petites piques. Quand les salariés voient des leaders syndicaux se chamailler, cela ne leur donne pas envie de se syndiquer.

-C’est sur le plateau de cette radio que vous avez pour la première fois affirmé le 30 mai dernier que vous n’étiez plus pour le retrait du texte. Cela n’a pas déplu à votre base ?

Philippe Martinez : Le retrait, c’était au début. Mais lorsqu’on a vu qu’on était réduits à des contestataires, qui seraient contre les accords majoritaires en entreprise, on a précisé notre position. Depuis 1996, on se bat pour le respect des accords majoritaires mais ils ne doivent pas primer sur les branches. Quand Gattaz dit que “le texte est vidé de sa substance mais touchez pas à l’article 2”, il sait le prix que ça vaut. Comme tous les patrons du monde.

En Espagne, depuis la réforme Rajoy, cinq millions de salariés ne sont plus couverts par les conventions collectives. Dans la restauration, les cuisiniers ont vu leur salaire, qui n’est plus garanti par la branche, diminuer de 50 % par le biais des accords d’entreprises. Dans le texte, des points nous conviennent (la garantie jeunes, le CPA s’ils l’étoffent), mais pas l’essentiel : le référendum, la hiérarchie des normes, les accords offensifs, la médecine du travail, etc.

-Après les réformes du travail dans les pays du Sud (Italie, Espagne, Grèce), c’est au tour de la France de s’y atteler sous pression de Bruxelles ou encore de la Belgique avec la loi Peeters. Quel est, Bernard Thibault, le regard de l’Organisation internationale du travail (OIT), où vous siégez, sur ces réformes ?

Bernard Thibault : Nous sommes face à l’impuissance politique de nos gouvernements, quelles que soient les majorités. Cela provoque des drames démocratiques où les citoyens réalisent que quoi qu’ils votent, cela ne change rien sur le plan social. Leurs gouvernants sont enfermés dans des spirales où chacun s’efforce d’être le plus accueillant pour les entreprises, les investisseurs et prêts à sacrifier tout ce qui, aux yeux des employeurs, apparaît comme des contraintes : convention collective, évolution des retraites, salaire minimum, droit de grève comme Cameron l’a attaqué en Angleterre…

Si la loi sur le travail passe en France, il y aura plusieurs motifs de plaintes possibles auprès de l’OIT. En 2012, le comité de la liberté syndicale de l’OIT avait condamné le projet de réforme du gouvernement grec de l’époque organisant la décentralisation de la négociation collective au niveau des entreprises. La Grèce était alors dans le viseur de la Troïka qui avait imposé au pays un bouleversement des règles de négociation collective ressemblant à s’y méprendre à l’article 2 du projet de loi français. Le comité soulignait que cela pouvait conduire à déstabiliser globalement les mécanismes de négociation collective ainsi que les organisations d’employeurs et de travailleurs.

- Le 7 juin dernier, la ministre du travail Myriam El Khomri participait à la 105e conférence internationale de l’OIT à Genève. Elle a échangé longuement avec vous, Bernard Thibault. Avezvous été un entremetteur entre elle et Philippe Martinez ?

 Bernard Thibault : Je n’ai jamais été un quelconque entremetteur. Myriam El Khomri a souhaité un aparté avec moi et nous l’avons eu. Elle n’avait pas la bonne mesure de l’écho international considérable de leur projet de réforme ainsi que des conditions autoritaires dans lesquelles ils veulent le faire passer. La France fait partie de ces pays que tout le monde regarde en cas de conflit social. C’est la surprise générale à l’OIT de voir que la France, pays fondateur, pays repère qui cherche à faire avancer les droits, sombre dans le moins-disant social.

- On glose beaucoup, Philippe Martinez, sur ce mouvement social qui pourrait vous renforcer en interne, vous qui êtes arrivé dans des conditions détestables à la CGT car l’organisation payait très cher la crise de succession de Bernard Thibault. Lui en voulez-vous de vous avoir laissé un tel chantier ?

Philippe Martinez : Je n’ai aucun problème avec Bernard. D’ailleurs, nous sommes en retard car on a un apéro avec les cheminots. On ne peut nier les problèmes internes à la CGT, une maison où il y a beaucoup de débats. Mais la crise de succession a été instrumentalisée par le pouvoir. Il y a eu beaucoup de spéculation sur la CGT, mal en point, à l’agonie. Or si les problèmes étaient si prégnants, nous n’occuperions pas cette place dans le mouvement social. « Contester, proposer, manifester » – ta formule, Bernard –, la CGT sait encore le faire.

Bernard Thibault : J’ai laissé un chantier, je vois ce que vous voulez dire, mais “les regrets, ça ne sert à rien”, disait Krasucki. On ne va pas refaire l’histoire. En revanche, oui, il y a eu une très mauvaise lecture du gouvernement sur l’état de santé de la CGT. Ceux qui prédisaient une CGT hors course, concentrée sur sa convalescence, méconnaissent notre structure, une association d’organisations qui ont leur propre autonomie de fonctionnement, de vie, d’initiative.

Philippe Martinez : D’ailleurs, maintenant qu’ils réalisent que la tête marche, la CGT serait dépassée par sa base.

-En 2009, Xavier Mathieu, le leader CGT des Continental de Clairoix, vous avait qualifié, Bernard Thibault, de « racaille », « bon qu’à frayer avec le gouvernement, à calmer les bases ». Craigniezvous une telle accusation, Philippe Martinez ?

Philippe Martinez : Parce qu’un militant syndical ne met jamais les pieds dans le bureau de son employeur pour négocier ?

Bernard Thibault : C’est le seul militant auquel j’ai refusé de répondre. Moi qui ai toujours accepté la contradiction, là, c’était de l’insulte publique.

 

PAR RACHIDA EL AZZOUZI

Source : Mediapart

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