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LOUIS XIV DICTATEUR ET ROI

Publié par medisma sur 25 Mars 2017, 12:37pm

 

LOUIS XIV DICTATEUR ET ROI

On ne s'étonnera donc plus que nous rangions le grand roi parmi les dictateurs, bien que l'idée de dictature implique de façon générale la substitution d'un pouvoir passager au pouvoir normalement établi. Mais cette vue ne présente, au vrai, qu'une conséquence, l'objet propre du dictateur étant de restaurer ou d'instaurer l'autorité au profit de l'État, ce qui fut par excellence le souci constant de Louis XIV.

Fils et héritier de roi, Louis XIV était naturellement appelé à succéder à son père ; mais, dès son enfance, humilié par la Fronde, il eut la volonté arrêtée d'être le roi, de dominer ses sujets à quelque ordre qu'ils appartinssent, quels que fussent la hauteur de leur naissance ou l'éclat de leurs services. Plus qu'aucun autre souverain de la lignée capétienne, il se prépara à régner en personne et nul n'avait été aussi prêt que lui à gouverner le royaume.

Sans doute ne faut-il pas construire a posteriori l'image d'un jeune prince alliant les vertus d'un vieil homme d'État aux séductions de la jeunesse. Avant d'avoir atteint à la sagesse qui nous frappe et nous émeut dans ses Mémoires commencés lors de sa trentième année, le fils de Louis XIII a dû faire ses écoles d'homme et de souverain. Mais la première idée claire qu'il eut de très bonne heure, celle dont découlèrent les plus heureuses conséquences, c'est qu'il devait épargner à tout prix à la couronne et à la France les périls de nouveaux troubles intérieurs.

Jamais il ne devait perdre le souvenir de la Fronde et c'est pourquoi il s'établit à Versailles, où il était à l'abri des révolutions de Paris. Le souvenir amer qu'il en avait gardé fut fixé dans son esprit par les commentaires de Mazarin qui, découvrant les effets et les causes, lui démontra la nécessité de donner à la France un gouvernement fort. Louis, qui avait naturellement le goût de l'autorité, comprit la leçon et ne l'oublia jamais. S'il éleva, comme il fit, aussi haut la personne royale, c'est pour qu'elle ne risquât plus d'être menacée ni atteinte, ayant acquis assez de prestige et de force pour ôter à qui que ce fût jusqu'à l'idée d'entrer en rébellion contre elle.

Aussi le roi voulut-il, dès le premier moment où la mort l'eût délivré de la tutelle de Mazarin, manifester tout de suite qu'il entendait gouverner par lui-même, exprimer sa volonté sans intermédiaire et l'imposer au besoin. A peine le cardinal avait-il rendu l'âme que Louis faisait convoquer les ministres et leur défendait d'expédier rien sans avoir pris ses ordres. Comme le lendemain, l'archevêque de Rouen, président de l'Assemblée du clergé, lui demandait : « Votre Majesté m'avait ordonné de m'adresser à M. le Cardinal pour toutes les affaires ; le voici mort : à qui veut-Elle que je m'adresse ? - À moi, Monsieur l'Archevêque, » répondit ce roi de vingt-trois ans.

Ce désir bouleversait tellement la tradition et les idées d'alors qu'il prit à la Cour l'allure d'un petit coup d'État. On n'y voulut pas croire et Anne d'Autriche, quand on lui rapporta les paroles de son fils, éclata, paraît-il, d'un grand rire.

C'était compter sans la volonté du roi. Estimant que l'exercice du pouvoir absolu ne se pouvait concevoir sans un grand entendement des affaires, il se mit au travail. Chaque jour, pendant des heures, il conférait avec ses secrétaires d'État, lisait leurs rapports, les annotait, dressait des questionnaires auxquels les ministres devaient répondre avec concision et clarté. Doué d'une santé magnifique qui lui permettait de ne rien sacrifier des plaisirs de son âge à ce qu'il appelait lui- même son « métier de roi », Louis XIV commença cette ascension continue vers la grandeur avec cette application qu'a si bien définie Charles Maurras : « Une ardeur de volonté et de raison ».

Les Français comprirent tout de suite la pensée profonde du monarque ou plutôt c'était lui qui avait compris les besoins de la France. Elle lui ouvrit un crédit illimité, grâce auquel il put abolir les derniers vestiges des anciennes erreurs et nouer cette collaboration d'une nation et d'un prince comme il n'en existe pas d'autre exemple dans l'histoire.

On en sait les résultats : le « pré carré » presque achevé, le prestige de la France porté en Europe à un point qui ne devait plus être dépassé, une prospérité inouïe dans le royaume, une incomparable floraison des lettres et des arts, nos frontières inviolées pour un siècle, en un mot le siècle de Louis XIV.

Aussi bien le Grand Roi se passionnait-il pour sa tâche. Il ne se relâcha jamais de l'application qu'il avait mise à s'informer et à s'instruire. Pendant cinquante-quatre ans, il travailla tous les jours aux affaires de l'État, discutant, pesant, jugeant, décidant avec cet admirable bon sens qui émerveillait Sainte-Beuve. Rien d'important ne se fit à l'intérieur comme à l'extérieur du royaume qu'il n'eût pris part à la dé- cision. Jamais, au temps même où il était le mieux servi par ses plus grands ministres, un Colbert, un Louvois, un Lionne, il ne consentit à leur laisser une entière liberté, c'est-à-dire à laisser renaître le « ministériat » dont les Français n'avaient plus voulu. Jusqu'à la fin il intervint de par sa volonté souveraine, comme il se l'était juré dès sa vingtième année.

On dit et l'on répète en toute circonstance qu'avant de mourir il s'est accusé d'avoir trop aimé la guerre. Mais nous n'avons jamais obtenu de réponse quand nous avons demandé à ceux qui triomphent contre Louis XIV de ce scrupule : « Voulez-vous rendre Lille, Strasbourg et Besançon ? »

Maintenant profilons la suite. Louis XV, mieux connu aujourd'hui, mieux jugé par ses nouveaux biographes (voir en particulier le livre de Pierre Gaxotte) Louis XV continue de son mieux, - c'était l'avis de Voltaire, - le siècle et la pensée de Louis XIV. Il ne pèche pas par dé- faut d'intelligence mais par défaut de caractère. Il voit juste et n'a pas assez de volonté pour imposer ses vues. Pourtant, il sévit contre les Parlements frondeurs. Il refuse de convoquer les États-généraux ce qui serait, disait-il prophétiquement, la perte du royaume. Son mot : « Après moi le déluge » est le type du mot mal compris. Louis XV ne voulait pas dire qu'il était indifférent à ce qui se passerait après lui. Il pressentait que, lui mort, les cataractes du ciel s'ouvriraient.

La prophétie s'accomplit par Louis XVI qui rendit la main à tout ce qui était contenu et réprimé depuis l'avènement de Louis XIV c'est-à- dire depuis un peu plus de cent ans. Il voulut être un roi réformateur. Il ne comprit pas que pour prendre la tête des réformes il fallait d'abord affirmer son autorité. S'il avait mieux connu son temps, il aurait vu que le XVIIIe siècle, qui aimait les lumières, ne haïssait pas le despotisme. Il se fût inspiré de la popularité qu'avaient en France des souverains cent fois plus autoritaires que lui, son propre beau-frère Joseph, ou bien Frédéric de Prusse.

 

LA MODE DU DESPOTISME ÉCLAIRÉ

 

La notion de dictature au XVIIIe siècle devait forcément subir des modifications importantes, causées non seulement par les idées nouvelles, mais, au moins autant, par les exemples vivants, qui sont d'un autre pouvoir.

Ce siècle si hardi en matière religieuse et en matière sociale respecta presque toujours, contrairement à ce que l'on croit, l'ordre établi en politique, tant qu'il s'agissait de principes généraux. Les critiques ne portaient guère que sur les détails, - détails, il est vrai, d'importance. Mais il ne faudrait point croire que l'on attaquât, par exemple, l'institution royale. Bien que les Encyclopédistes n'aient pas toujours dit tout ce qu'ils pensaient dans leur for intérieur, et qu'ils aient été tenus, sur plusieurs points, à quelque réserve, il y a de fortes raisons de penser qu'il se trouvait peu de républicains parmi eux.

Même pour Diderot, la chose est assez douteuse. Quant à Voltaire, il est trop certain qu'il préférait le pouvoir personnel. Il n'a pas été pour rien l'apologiste du siècle de Louis XIV et du siècle de Louis XV. Jean-Jacques Rousseau lui-même, l'auteur du Contrat Social, d'ailleurs en contradiction d'humeur et d'idées avec Voltaire, modérait beaucoup ses principes genevois lorsqu'il s'agissait non plus de

légiférer dans l'absolu, mais de donner une consultation aux « peuples » qui lui demandaient une constitution : les Corses ou les Polonais. D'ailleurs, s'il était plein d'estime pour la forme républicaine du gouvernement, il pensait qu'elle ne peut guère convenir qu'aux petits pays, et la déconseillait formellement pour une grande nation comme la France. On trouve du reste, dans le Contrat Social même, une apologie de la dictature.

Au fond, les philosophes du XVIIIe siècle étaient surtout pour le progrès, pour les « lumières » qu'il fallait imposer par voie d'autorité à la foule imbécile attachée aux vieux préjugés, à ceux de la religion en particulier. On admirait l'Angleterre mais sans beaucoup de sincérité. L'anglomanie a toujours existé en France. Un peu plus tard Franklin et la démocratie américaine excitèrent beaucoup d'enthousiasme à la façon du « tout nouveau tout beau » et parce que ces choses se passaient dans un pays jeune et lointain. De tête et de coeur, les réformateurs, dans leur ensemble, admiraient beaucoup plus les modèles que donnait alors l'Europe, ceux du « despotisme éclairé ».

Le dix-huitième siècle, en effet, a vu naître une forme toute particulière de monarchie, qui, de même que dans la personne de Louis XlV, peut sembler unir en un seul être les prestiges de la royauté et ceux de la dictature. Et même, pour les philosophes qui admirent les princes couronnés de l'Europe centrale ou orientale, il est trop certain que les prestiges de la dictature l'emportent sur ceux de la royauté.

Car peu importent pour eux la tradition, les bienfaits de la durée et de l'hérédité monarchiques. L'essentiel est dans la politique suivie par une personne, par une individualité forte, qui, soutenue par les lois de la raison, s'impose à tous. C'est ainsi qu'aux hasards de l'élection, les philosophes ont été amenés à préférer une autre sorte de hasard, un hasard de la naissance qui n'a pas beaucoup de rapports avec la monarchie véritable, et place de temps en temps sur le trône un ami des lumières et du progrès. C'est ce que Renan, plus tard, appellera le « bon tyran ».

Naturellement, la théorie comptait moins que les exemples, - et les exemples n'étaient peut-être pas toujours très bien compris. Car il semble bien que dans la collaboration indéniable des rois et des philo sophes, les rois aient eu le dessus et se soient beaucoup plus habilement servis des philosophes que ceux-ci ne se sont servis des rois. Mais enfin, Frédéric Il de Prusse, la grande Catherine de Russie, et Joseph II, successeur de Marie-Thérèse aux divers trônes de Bohême et de Hongrie et au titre toujours vénéré de l'ancien Saint Empire Germanique, furent pendant de longues années des sortes de figures votives de la dictature couronnée, auxquelles les philosophes adressaient leurs prières raisonnables et même rationalistes.

Il est assez difficile de savoir ce qu'était un despote éclairé, car jamais la théorie de cette forme toute particulière de gouvernement n'a été bien clairement établie. Avant tout, le despote éclairé, guidé comme il convient par les lois de la philosophie naturelle, devait s'opposer à l'Église. Sur ce point, les philosophes eurent toute satisfaction : Frédéric Il était luthérien, Catherine Il était impératrice d'un pays orthodoxe, où la religion jouait un rôle immense et profond, mais où il était aisé, à cause de l'ignorance du clergé, de lui interdire tout empiètement trop grave. Quant à la famille des Habsbourg-Lorraine, il est certain que Marie-Thérèse, qui pleurait sur le partage de la Pologne, en prenant quand même sa part, était beaucoup trop pieuse. Aussi lui préféra-t-on de beaucoup son fils, Joseph Il, qui parut même pendant son règne, et principalement lors de ses démêlés avec la papauté, le modèle et l'incarnation du souverain anticlérical.

Ce point était le seul auquel tinssent véritablement les philosophes. Ils ne s'apercevaient peut-être pas que cet anticléricalisme ne faisait en réalité qu'accroître la puissance de leur despote. Qu'importait, pourvu que l’on pût expulser les Jésuites du Portugal et d'ailleurs, et enfin, grande victoire de la pensée libre, faire dissoudre leur ordre par le pape lui-même.

Cependant, les princes illuminés par la raison, donnaient d'autres satisfactions. Catherine faisait venir Diderot en Russie, et lui demandait des conseils pour l'instruction des moujiks. Ces conseils restaient d'ailleurs lettre morte, et la plupart des réformes sociales auxquelles s'attachèrent les despotes éclairés du XVIIIe siècle semblent bien avoir été surtout destinées à accroître leur réputation auprès d'amis assez peu exigeants et qui se chargeaient de la publicité.

Ce qui fait le véritable caractère d'une impératrice aristocrate comme Catherine de Russie, d'un roi absolu comme Frédéric, ce cynisme à peu près constant, cette admiration sans retenue d'une force intelligente, était sans doute assez bien compris de l'époque qui avait produit ces étonnants exemplaires d'humanité politique. Mais on en parlait peu. On ne cherchait pas à comprendre comment, à la suite de Rurik, d'Ivan et de Pierre, Catherine prenait place avant tout dans la lignée des assembleurs de la terre russe, et l'on ne pensait pas que son philosophisme n'était qu'une apparence, un trompe-l'oeil. On ne cherchait pas à comprendre que Frédéric Il était beaucoup plus un fondateur d'Empire qu'un roi philosophe, et seuls peut-être le savaient en France le roi Louis XV et ses ministres qui, contre le gré de l'opinion, recherchaient l'alliance autrichienne et devinaient la redoutable ascension de la Prusse.

On flattait les princes étrangers proposés à l'admiration des foules d'avoir admirablement compris - c'est le propre des dictatures - la valeur de certains actes et de certains mots de passe. De même qu'il faut parler aujourd'hui des mythes modernes et se servir du langage qu'emploient tous les partis, de même fallait-il alors parler de la raison, déclarer la guerre à la domination de l'Église, arracher le peuple à ses anciennes croyances. Il fallait aussi sacrifier à certaine idée abstraite de l'homme, dont la déclaration des droits américaine, avant la française, donnait une image inconnue. Lorsque Joseph Il écrase les révoltes des Pays-Bas et prétend réduire son vaste Empire, fait de piè- ces et de morceaux, à une unité peut-être contre nature, il sacrifie à cette idole.

Mais en même temps, empereur, impératrice, roi, encensés par les publicistes français, renforcent leur pouvoir, accroissent, ou tout au moins pensent accroître, la solidité de son trône. C'est un fait qui doit nous porter à réfléchir. Tandis que les philosophes acclamaient les princes qui s'abonnaient à l'Encyclopédie, accueillaient à leur Cour Voltaire, d'Alembert ou Diderot, ces mêmes princes s'appuyaient à ]a fois sur la force, sur les idées à la mode, et ne dédaignaient pas pour cela le surcroît de pouvoir que leur apportait la tradition. Joseph Il ne reniait pas le droit divin, et Catherine se faisait toujours obéir du Saint Synode où elle avait son représentant.

Loin d'être une forme plus libérale de pouvoir, le despotisme éclairé au XVIIIe siècle semble donc avoir été une forme particulièrement intéressante de dictature : car elle mêle toutes les raisons anciennes que peuvent avoir certains hommes de dominer les autres, à quelques raisons nouvelles qui ne sont peut-être que des prétextes mais qui servent singulièrement les desseins complexes des despotes. On les voit, sacrés par leurs Églises, saluer les prêtres de l'esprit nouveau comme Constantin, pontifex maximus, pouvait saluer les évêques chrétiens, et quelques traits de démagogie apparente ne servent chez eux qu’à renforcer le pouvoir, et à donner toute sa valeur à la propagande.

Il n'en est pas moins vrai que l'idée du « despotisme éclairé »un moment obscurcie en France par la Révolution devait reprendre toute sa valeur avec Napoléon Bonaparte et contribuer dans une mesure considérable à l'établissement du Consulat et de l'Empire. Il est absolument impossible de négliger, dans la suite de l'histoire et pour comprendre notre siècle même, cette idée d'aristocrates intellectuels que le progrès ne peut venir de la foule crédule, routinière et imbécile, mais qu'il doit être imposé par des individus supérieurs.

 

ROBESPIERRE

Lorsque la Révolution française de 1789 éclata, personne ne se doutait qu'on allait à la République : il n'y avait pas dix républicains en France, a dit l'historien Aulard. Lorsque la République fut proclamée, personne ne se doutait qu'on allait à la dictature. Le peuple français savait encore moins qu'en acclamant la liberté, il désirait l'égalité, que l'égalité est le contraire de la liberté, que l'une doit être sacrifiée à l'autre et que, par conséquent, il faut un pouvoir fort pour briser les inégalités sociales. Sans en avoir conscience, la France aspirait à l'autorité.

La République « une et indivisible » avait fini par être proclamée, et les pouvoirs concentrés, beaucoup plus que dans la Convention, entre les mains de deux Comités, l'un, dont le rôle reste obscur et souterrain jusqu'au 9 thermidor qu'il provoqua, le Comité de Sûreté Géné- rale ; l'autre, le Comité de Salut Public. Dans ce dernier, trois personnages sont « les hommes de la haute main » : un garçon de vingt-six ans, beau et vaniteux, orateur souvent éblouissant, Saint-Just, - un infirme qu'on traîne en petite voiture, cruel comme le fut Marat, et parfois aussi pénétrant que lui, Couthon, - et enfin Robespierre.

C'est à Robespierre qu'aboutit la Révolution, pendant quelques mois qui finissent par se compter en années. Les autres hommes, un Mirabeau, un Danton, n'ont fait que passer. Jamais ils n'ont eu entre les mains le pouvoir total. D'autre part, ils sont discrédités par leur vie privée, et surtout par leurs affaires d'argent que les contemporains ont parfaitement connues. Il est impossible, aujourd'hui, de croire à l'inté- grité de Danton, et le scandale de la Compagnie des Indes, où sombrè- rent ses hommes de paille et ses amis, est resté sur sa mémoire. Aucun scandale n'a jamais éclaboussé Robespierre. C'est pourquoi, les autres étant corrompus, on l'appelait l'Incorruptible.

Maximilien de Robespierre avait trente et un ans à la Révolution, étant né le 6 mai 1758 à Arras. Il y suivit les cours du collège, fut remarqué par l'évêque, termina ses études à Louis-le-Grand. En 1781, licencié, avocat, il revint à Arras, où il mena une existence rangée et paisible, composant des vers galants et plaidant de temps à autre. Aucune vie ne semble avoir été plus banale.

Bientôt membre de l'Académie d'Arras, Robespierre y apprit ce qu'on apprenait alors dans les académies de province : la révolution idéologique. En 1789, il est élu à la Constituante, et, comme tout le monde, il est royaliste.

Cependant, il est pénétré des doctrines de Rousseau, et, peu à peu, comprend l'importance des événements qui se produisent autour de lui. Il demande la destitution du Roi après la fuite à Varennes. Sous la Législative, il est devenu républicain. Sous la Convention, il sera montagnard, suivant ainsi d'un pas lent et sûr le progrès de la Révolution, sans jamais être en retard sur elle, mais sans jamais la précéder non plus. Le 16 avril 1790, il est devenu président du Club des Jacobins. Jusqu'à la fin, il restera le Jacobin modèle.

Ce qui rend si difficile de comprendre cet homme, c'est qu'il semble tout d'abord si peu humain. Pendant longtemps, il a gêné les apologistes les plus passionnés de la Révolution. Au moins Danton avec ses passions et ses vices était-il un vivant. Robespierre est incorruptible, assurément, mais de l'incorruptibilité du minéral, du diamant. Il semble échapper aux lois de la commune humanité.

C'est l'homme du club des Jacobins, Michelet l'a dit le premier. C'est l'incarnation d'une idée abstraite. Rien ne compte pour lui, hors l'idée de la Révolution à laquelle il s'est dévoué corps et âme, et pour laquelle, somme toute, il mourra. Pour elle il sera habile, mais il sera aussi maladroit ; il sera révolutionnaire, mais il saura aussi se faire conservateur ; il sera pur, mais il saura, avec mépris, céder aux compromissions nécessaires. Il est le prêtre d'une divinité inconnue, qui semble parfois ne s'être révélée qu'à lui.

On dit bien d'une divinité inconnue, car la conception de la Révolution que prétend servir Robespierre n'est pas toujours claire, étant très complexe. Comme les autres, Robespierre avait vanté le progrès, chanté la Raison, attaqué l'Église. Cependant, lorsque la campagne hébertiste se fut développée, lorsque les prêtres assermentés euxmêmes ne furent plus exempts des persécutions infligées aux autres, Robespierre modéra le mouvement. Ce disciple de Rousseau, cet admirateur du Vicaire Savoyard, était assurément sincère : mais surtout, il comprenait combien une religion incorporée à l'État, garantissant ses lois et le comportement des individus, pouvait avoir d'intérêt. Le scandale de la Compagnie des Indes, qui éclata à ce moment et révéla l'étendue de la Corruption parlementaire, lui permit d'abattre à la fois les Indulgents et les Enragés, Danton et Hébert. Immédiatement après, Robespierre prononça un discours sur les rapports des idées morales et des principes républicains. Sans plus tarder, la Convention reconnut l'existence « de l'Être Suprême », et l'on célébra une grande fête en l'honneur du Père de l'Univers. Ce fut l'apogée de Robespierre. Ici on touche du doigt la complexité de ses idées religieuses et politiques. Il ne faut pas oublier que cet homme qui fut le protagoniste de la Terreur était soutenu néanmoins par la droite de l'Assemblée, et même, quoique secrètement, par les catholiques. Car on pressentait que Robespierre était destiné à rétablir l'ordre dans la société. S'il avait survécu, le Concordat aurait été signé par lui et non par Bonaparte.

Il en fut de même pour le reste. Un fort courant communiste était représenté à l'Assemblée par Jacques Roux : après la disparition de Jacques Roux, craignant d'être dépassés par la surenchère, Hébert et Chaumette reprirent son programme et attaquèrent violemment la Convention qu'ils accusaient de réduire le peuple à la famine et de protéger les agioteurs. Au Comité de Salut Public, deux hébertistes, Collot d'Herbois et Billaud-Varennes, représentèrent bientôt les doctrines extrémistes. Banqueroute partielle, taxation des blés, loi sur l'accaparement, loi sur le maximum, levée en masse, réquisition des travailleurs, furent les principales mesures qui constituèrent l'essentiel de la Révolution sociale et économique.

Toutes ces mesures, promulguées sous l'inspiration des Enragés, Robespierre les accepta, les fit siennes, bien qu'il semble que ce ne fût parfois qu'à contre-coeur. S'il avait échappé à la chute, qu'eût-il fait ? C'est un des jeux de cette science d'hypothèses historiques qu'on a nommée l'uchronie. Il est permis de penser que, conservant l'essentiel d'Hébert et de Roux, Robespierre aurait sans doute admis des accommodements, une politique moins intransigeante, de même que Lénine, après la période de communisme intégral, instaura la N.E.P.

Il eut contre lui son incorruptibilité et sa maladresse et aussi la lassitude générale. Il semblait avoir à coeur de justifier les hyperboles de la propagande qui le représentaient comme un tigre altéré de sang. La grande Terreur, qui envoyait chaque jour à la guillotine des fournées d'innocents, soulevait de dégoût le peuple de Paris. Robespierre n'y comprenait rien, et, sincèrement, pensait qu'il arrêterait la Terreur lorsque la Révolution serait nettoyée de ses éléments impurs.

Le 26 juillet 1794, il prononça à la Convention un discours qui fit un effet considérable. Il y parlait d'épurer le Comité de Sûreté Générale, le Comité de Salut Public, l'Assemblée. Il demandait la création d'un nouveau système de finances, attaquait Billaud-Varennes et les mesures communistes. Tous ceux qu'il menaçait furent terrifiés. Sourdement ils répandirent le bruit qu'il voulait le pouvoir absolu. Comme à la fête de l'Être suprême, il avait marché devant la Convention, on l'accusa de ressusciter l'ordre des cortèges royaux.

Le Comité de Sûreté Générale, compromis depuis l'affaire de la Compagnie des Indes, mena la lutte. Fouché et Tallien négocièrent avec la Plaine. Le 27 juillet, 9 thermidor suivant le calendrier révolutionnaire, Robespierre tombait sous l'accusation de dictature, et il était guillotiné le lendemain.

Avec lui se terminait le premier essai de dictature révolutionnaire qu'ait connu la France. A l'étranger, on ne s'y était pas trompé : on disait la flotte de Robespierre, les armées de Robespierre. Il apparaissait comme l'incarnation révolutionnaire de son pays, le chef né de l'émeute.

Il l'était bien en effet. Mais son cas est significatif parce qu'il nous montre un homme parfaitement identifié avec la Révolution, et cependant obligé, par l'insurmontable nature des choses, de composer avec la réalité, ce qui lui fait une figure assez singulière de théoricien abstrait et parfois d'homme d'État. Sans Robespierre, Napoléon Bonaparte n'eût peut-être pas été possible.

 

Chapitre tiré d’un ouvrage paru en 1935, écrit par l'historien et académicien français Jacques Bainville (1879 – 1936) et intitulé LES DICTATEURS. L'auteur est un monarchiste convaincu depuis son jeune âge.

L’ouvrage en question est une analyse psychologique des hommes et des peuples afin de saisir les différents caractères des dictateurs.

Jacques Bainville

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