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LE GOUVERNEMENT PRIVATISE LE FUTUR DES SERVICES PUBLICS

Publié par medisma sur 1 Novembre 2017, 13:43pm

LE GOUVERNEMENT PRIVATISE LE FUTUR DES SERVICES PUBLICS

En installant le « comité Action publique 2022 », c’est une deuxième commission Attali que le gouvernement a créée. Sa composition est une illustration du macronisme : une commission dominée par des représentants du privé en position de dicter à l’État ce qu’il doit faire, au mieux de leurs intérêts.

 Au rythme d’une création ou deux par mois de nouveaux comités Théodule, chargés de se pencher sur l’un ou l’autre dossier jugé prioritaire par le gouvernement, l’attention finit par baisser. La présentation par le premier ministre Édouard Philippe, le 13 octobre, d’un « comité Action publique 2022 », n’a pas échappé à la règle. D’autant que Matignon a adopté une communication allégée sur le sujet. Un discours de bienvenue, quelques mots pour annoncer la volonté permanente du gouvernement de moderniser l’État – en essayant de gagner en efficacité économique – sont censés tenir lieu de feuille de route pour cette nouvelle mission.

Pourtant, derrière cet habillage très patelin, c’est une nouvelle commission Attali qui est en train de se mettre en place. Avec parfois les mêmes hommes et, en tout cas, les mêmes idées. Comme la commission, ce comité est chargé d’édicter une série de mesures sur la transformation des services publics. Ses préconisations semblent être appelées à devenir un mandat impératif pour le gouvernement, au même titre que les résolutions de la commission Attali, en dépit de leur caractère débridé

 

Dans sa présentation, le gouvernement se veut très rassurant. Il s’agit « d’améliorer la qualité des services publics »« d’offrir aux agents publics un environnement de travail modernisé » et de mettre l’État à l’heure de la numérisationBien sûr, en faisant mieux pour moins cher : la réforme doit permettre « d’accompagner la baisse des dépenses publiques », en permettant une réduction de trois points de la part de celles-ci dans le PIB d’ici à 2022. Le gouvernement ne donne pas de chiffres. Mais passer de 57 % à 54 % de part des dépenses publiques représente entre 60 et 80 milliards d’euros d’économie. Des économies supportées essentiellement par les services publics, dans l’esprit du gouvernement.

La lettre de cadrage, adressée par le premier ministre à tous les membres du gouvernement, n’en fait en tout cas guère mystère. « Les objectifs ambitieux que nous nous sommes fixés en matière de réduction de la dépense publique impliquent de revoir profondément et durablement les missions de l’ensemble des acteurs publics », écrit-il en préambule. Dans ce cadre, le comité Action publique 2022 « sera chargé de produire un rapport identifiant des réformes structurelles et des économies significatives et durables sur l’ensemble du champ des administrations publiques. À cette fin, ce comité s’interrogera sur l’opportunité du maintien et le niveau de portage de chaque politique publique. Cela pourra notamment le conduire à proposer des transferts entre les différents niveaux de collectivités publiques, des transferts au secteur privé, voire des abandons de missions ». Sans s’en cacher, l’État prépare donc bien son désengagement.

 Compte tenu de l’importance des services publics en France, de leur rôle dans le pacte républicain et de leur fonction économique et sociale dans le pays, leur évolution aurait au moins mérité un large débat démocratique. Le pouvoir a préféré l’éteindre par avance et confier tout cela à un comité. Et quel comité !

Le gouvernement a choisi d’en exclure l’essentiel des parties prenantes, de donner congé à la société civile. Aucun responsable de services publics et de la santé n’a été invité à y participer, pas plus que les syndicats ou les usagers. Aucune association n’a été conviée, pas plus que des représentants de l’Insee, des centres de sciences sociales ou de géographie, des responsables de l’aménagement du territoire. Des acteurs publics comme la Caisse des dépôts, les autorités de régulation ou de la concurrence, qui auraient peut-être pu partager leurs vues ou leurs expériences, ont été soigneusement tenus à l’écart. On ne retrouve aucune personne ayant des connaissances ou des expériences en matière d’environnement, de transports, de télécommunications, de réseaux, bref touchant à tous ces grands enjeux de transformation pour un État, à l’heure d’un changement inéluctable de modèle économique. Toutes ces expériences, ces voix ont été jugées inutiles.

En lieu et place, il y a les experts. « Tout se passe comme si le pouvoir était capable d’adopter les “bonnes décisions”, cautionnées par la Raison. Cette illusion cognitiviste – au terme de laquelle le politique serait en mesure de connaître la réponse juste – est le moteur de l’idéal épistocratique qui s’évertue à soustraire le gouvernant, réputé connaître et non vouloir, à l’épreuve de la discussion », prévenait le constitutionnaliste Alexandre Viala, dans une récente tribune publiée dans Le Monde, mettant en garde contre ces illusions qui mettent en danger la démocratie.

Le comité action publique 2022 illustre à la perfection cette réalité du macronisme. Emmanuel Macron lui-même paraît avoir veillé à établir la liste des noms, tant elle se calque sur celle de la commission Attali – son expérience fondatrice – et sa vision du monde, du pouvoir.

D’abord, il y a les énarques. Sur les 34 membres de ce comité, 17 sont passés par l’ENA. Cette qualité première n’en empêche pas d’autres. Le petit comité abrite ainsi de nombreux amis ou proches du président. Laurent Bigorgne, directeur de l’institut Montaigne, qui a hébergé le site d’En marche! à son domicile au moment de son lancement, est naturellement au premier rang. Nicolas Revel, ancien secrétaire général adjoint de l’Élysée chargé du social au temps où Emmanuel Macron occupait le même poste à l’économie. Un ami si proche qu’Emmanuel Macron a voulu l’imposer comme directeur de cabinet à Édouard Philippe à Matignon. Frédéric Mion, qui a succédé à Richard Descoing à la tête de Sciences Po, a même eu le privilège d’être choisi parmi les trois présidents du comité.

Ensuite, il y a des hauts fonctionnaires, parfaits connaisseurs de l’appareil d’État, qui y sont parfois restés mais qui sont aussi partis dans le privé. Parmi les candidats retenus pour participer à ce comité, les fonctionnaires travaillant encore dans le public ont comme caractéristique d’avoir travaillé dans les cabinets de Nicolas Sarkozy ou de ses proches à droite. Les seules recrues de gauche sont d’anciens membres du cabinet de Manuel Valls à Matignon. Comme si aller chercher d’autres expériences était s’aventurer sur des terres inconnues bien trop dangereuses.

 La réforme de l’État aux mains du privé

 Après, il y a des économistes. Dans la liste des personnalités retenues se retrouvent Philippe Aghion, Jean Pisani-Ferry, Mathilde Lemoine. Hasard ! Tous les trois siégeaient déjà à la commission Attali. Là encore, il aurait été possible d’aller chercher d’autres économistes, d’ouvrir à d’autres réflexions, comme les inégalités, la redistribution, les biens communs, par exemple, qui sont devenus des thèmes centraux dans les débats académiques aux États-Unis depuis la crise financière. Mais Emmanuel Macron a préféré reconduire les « valeurs sûres », qui pourront rabâcher leurs avis, en reprenant le débat là où la commission Attali l’avait laissé, au temps du néolibéralisme triomphant des années 2006-2007, comme si tout ce qui s’était passé entre-temps n’était qu’une simple parenthèse, le néolibéralisme étant comme les lois de la physique, indépassable, intemporel.

Pour finir, dans la représentation du monde selon Emmanuel Macron, il fallait naturellement convier le secteur privé, qui doit inspirer la conduite de l’État. Les créateurs d’entreprise numérique y ont une place de choix, afin de donner quelques exemples et quelques leçons à la France start-up. Ainsi Paul Duan, présenté comme un entrepreneur social, un « as » de la Silicon Valley, a été invité à partager ses vues sur la conduite de l’État. Fin 2016, il devait terrasser le chômage, en faisant baisser d’au moins de 10 % le nombre d’inscrits grâce à ses algorithmes foudroyants. Neuf mois plus tard, soulignait Arrêt sur images, son site Bob emploi était toujours en version bêta. Trois mois après, il en est toujours au même stade. De même, Axel Dauchez, créateur « d’une plateforme de mobilisation de la société civile »et chantre de l’ubérisation de l’économie, qui s’est donné pour programme de « s’attaquer aux enjeux de la gouvernance des États », a été invité à participer aux travaux, comme porte-parole du nouveau monde face au vieux.

Seule concession faite aux usages, il a bien fallu nommer quelques représentants politiques (6 sur 34). La liste paraît avoir été arrêtée par Édouard Philippe. Car, à l’exception de François Bonneau (PS), nommé en tant que président de l’Association des régions de France, tous sont de droite (LR ou LREM), et beaucoup sont normands.

S’il y avait encore quelques doutes sur les mesures que va préconiser ce comité Action publique 2022, le choix du président donne de larges indications : il laisse le champ libre au secteur privé. Effectivement, quoi de mieux pour l’État que de se laisser dicter ses réformes par le privé, d’autant que ses avis sont toujours désintéressés.

Le gouvernement a ainsi choisi comme président du comité Action publique 2022 Robert McInnes, président du conseil d’administration de Safran. Mais ce n’est pas tellement à ce titre – même si Emmanuel Macron, lorsqu’il était à Bercy, rêvait d’instaurer des partenariats public-privé pour les équipements de l’armée –, ni pour le remercier d’avoir défendu la cause française auprès de l’Australie, lors de la signature du très grand contrat de sous-marins fabriqués par DNCS, qu’il semble avoir été choisi. Robert McInnes a d’autres qualités. Il a d’abord été pendant plusieurs années membre du conseil de surveillance de la Générale de santé. Ce groupe privé de cliniques s’est fait une spécialité de développer tout un réseau de cliniques, en trustant les activité les plus lucratives remboursées par la Sécurité sociale (accouchements, opérations de l’appendicite, fractures), laissant aux hôpitaux le soin de traiter les maladies longues comme le diabète, le cancer.

Il a été aussi vice-président de Macquarie Capital Europe. Cette banque d’investissement australienne se développe depuis des années en rachetant toutes les infrastructures stratégiques et des pans entiers du domaine public qui lui assurent des rentes, voire des monopoles. Elle investit particulièrement dans les réseaux de gaz et d’électricité, les autoroutes, les ports et les aéroports, les concessions d’eau. En France, elle est, par exemple, actionnaire des autoroutes Rhin-Rhône, un dossier cher à Emmanuel Macron. Ces dernières années, la banque s’est beaucoup intéressée au marché français et a recruté plusieurs anciens hauts fonctionnaires.

L’un d’entre eux a justement été invité à siéger dans le comité : Stéphane Brimont. Curieusement, Matignon insiste beaucoup plus sur son expérience passée en tant que dirigeant de la branche Europe de GDF-Suez. Mais il est surtout aujourd’hui  président de Macquarie pour la France et le Benelux, chargé de gérer le fonds infrastructures et actifs en Europe. Comme le souligne le groupe bancaire, cette embauche témoigne « de l’engagement et de la volonté de Macquarie de développer sa présence dans le marché des infrastructures en Europe Continentale et particulièrement en France ».

De même, le gouvernement se souvient surtout de Jean-François Cirelli comme président de Gaz de France, qu’il a su privatiser. Il se fait beaucoup plus discret sur ses nouvelles fonctions à la tête du fonds BlackRock en France, qui lui aussi a des vues sur le marché français. « Son rôle sera de renforcer le dialogue stratégique avec les principaux acteurs locaux, clients, régulateurs et fonction publique. Compte tenu de ses responsabilités passées au Trésor et au Club de Paris, il est particulièrement bien placé pour comprendre nos métiers », écrivait le fonds lors de son arrivée. En intégrant le comité action publique, Jean-François Cirelli a déjà rempli une partie des attentes de son nouveau groupe.

Par discrétion sans doute, le gouvernement a un peu minimisé les fonctions de Guillaume Hannezo. Oubliant de mentionner qu’il a été associé-gérant à la banque Rothschild, en même temps qu’Emmanuel Macron, il n’est présenté que comme gérant de FDR finance, une petite société de conseil. Mais Guillaume Hannezo est aussi conseiller (senior advisor) du fonds américain Lone Star, très engagé dans l’immobilier et les infrastructures. Il a déjà mené de nombreuses opérations en France. Mais c’est sans doute un simple oubli.

L’immobilier semble d’ailleurs un domaine qui attire particulièrement l’attention des anciens hauts fonctionnaires. Ainsi,  comme troisième président du comité, Matignon a nommé Véronique Bédague-Hamilius. Ancienne économiste au FMI, ancienne directrice de cabinet de Manuel Valls, très proche de l’entourage de Jean-Claude Juncker, elle aura sans nul doute à cœur de défendre la rigueur des comptes publics, de dénoncer « cette dette qu’il ne faut pas laisser aux générations futures ». Depuis quelques mois, elle est devenue secrétaire générale du groupe immobilier Nexity, un groupe qui se retrouve dans toutes les grandes opérations immobilières, notamment autour du Grand Paris, mais qui a aussi de grandes ambitions dans les services aux collectivités locales. Mais c’est naturellement en tant que grand commis de l’État qu’elle a été nommée. Tout comme Sabine Baïetto-Beysson, qui siège maintenant au groupe Icade, autre groupe immobilier très engagé dans le Grand Paris.

Tout cela, bien sûr, n’est qu’une succession de hasards, une simple illustration de l’évolution de ce que sont devenues les carrières des hauts fonctionnaires, oscillant entre le public et le privé, expliqueront les défenseurs du gouvernement. Néanmoins, la composition de ce comité est si attendue, si caricaturale qu’elle donne la mesure de l’état d’esprit dans lequel toute cette prétendue concertation est faite. Le temps qui lui est imparti indique d’ailleurs l’importance des travaux qui doivent être menés. Le comité Action publique 2022 doit remettre son rapport en mars 2018. Six mois à peine pour repenser le rôle de l’État et des services publics !

Un délai si court qu’il semble difficile pour ce comité d’analyser tout ce qui a été fait précédemment en matière de réforme de l’État, de tirer quelques conclusions sur la Lolf (loi organique sur les lois de finances) ou la RGPP (révision générale des politiques publiques), avec les dérives qui ont suivi. Du temps, il lui en manquera encore plus pour s’interroger sur les raisons des retards de la numérisation de l’administration. Pourtant, un certain nombre des membres de ce comité ont été témoins ou acteurs directs des différents projets. Depuis des années, l’État a dépensé des milliards pour se moderniser, en s’appuyant sur l’expertise de Microsoft, IBM, Capgemini, Accenture, Ernst & Young, etc., pour aboutir à des échecs comme le projet Louvois au ministère des armées, ou l’impossible dossier médical numérisé, un dossier lancé en 1997. Que peut apporter de plus le privé dans ces projets ? En quoi cela aide-t-il l’État ? En quoi les services qu’il peut fournir sont-ils meilleurs et moins coûteux que ceux du public ? Voilà des questions qui pourraient être posées mais qui ne le seront pas.

Ce comité n’est là que pour recycler et légitimer, à la lumière de son « expertise », des mesures déjà écrites par l’institut Montaigne ou la commission Attali, la proximité entre les deux rendant la distinction parfois difficile. En voici quelques exemples : diminuer la dépense publique de 20 milliards par an (Attali) ; s’attaquer au mille-feuille administratif en supprimant les départements (Attali) ; simplifier l’administration (Montaigne, Attali) ; supprimer 120 000 postes de fonctionnaires en cinq ans (Attali) ; établir un vrai dialogue avec le privé en lui permettant des cogestions avec l’État (Attali) ; abandonner des missions qui pourraient être facilement conduites par le privé (Attali) ; externaliser des fonctions de l’administration comme les ressources humaines ou la gestion de l’immobilier au privé (Attali) ; poursuivre la politique des partenariats public-privé (Montaigne, Attali) ; imposer aux hôpitaux de revoir leurs activités, quitte à en abandonner certaines, voire à fermer des établissements (Montaigne) ; favoriser les parcours santé par les mutuelles (Montaigne) ; accroître l’attractivité du secteur hospitalier pour la clientèle étrangère fortunée (Attali) ; renforcer l’attractivité des ports et des aéroports en les privatisant (Attali) ; privatiser les TER (Montaigne) ; fermer des gares (Montaigne) ; faire payer le vrai prix des transports (Montaigne) ; introduire des péages modulables selon les heures (Montaigne) ; et bien sûr mener toute cette politique tambour battant (Attali) !

 

MEDIAPART - 26 OCTOBRE 2017 PAR MARTINE ORANGE

 

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