Le patron de Lehman Brothers a fait couler sa banque pour un salaire de 17 000 dollars de l’heure
Seriez-vous capable de prendre en main une entreprise parfaitement saine, créée voilà cent cinquante-huit ans, et de la réduire en poussière ? Si c’est le cas, votre rémunération n’est sans doute pas à la hauteur de votre potentiel”, ironise Nicholas Kristof dans The New York Times. L’homme qui a réussi un tel tour de force, Richard Fuld, le patron de Lehman Brothers, “a ramassé près d’un demi-milliard de dollars entre 1993 et 2007”. Le 15 septembre, la vénérable banque d’affaires qu’il dirige s’est placée sous la protection de la loi sur les faillites : elle avait financé trop d’actifs à risque, avec trop peu de capital. L’an dernier, reprend l’éditorialiste, Richard Fuld a gagné à peu près 45 millions de dollars, ce qui revient à “17 000 dollars de l’heure pour couler une firme”. Et de conclure : “Si vous êtes prêt à abattre une entreprise pour moins que ça, posez votre candidature auprès de Lehman Brothers
Et Nick Leeson de s’interroger sur l’impunité des ces dangereux banquiers…
Moi, j’ai fait de la prison, s’insurge Nick Leeson, le trader britannique condamné pour la chute de la banque Barings en 1995…
Les marchés financiers de la planète restent dans l’oeil d’un cyclone
économique d’une force exceptionnelle. Les artisans de cette fantastique liquidation financière ? Les banques elles-mêmes. Les marchés, totalement désordonnés, se révèlent incapables de résoudre
la situation par eux-mêmes, et sont à la recherche d’un sauvetage par l’Etat. L’expression “gestion du risque”, à la mode sur les places financières depuis la faillite de la banque Barings en
1995, est de toute évidence un oxymore. Des institutions financières américaines comme Bear Stearns, Fannie Mae et Freddie Mac, Merrill Lynch, Lehman Brothers et, aujourd’hui, AIG et Morgan
Stanley, connaissent de graves difficultés financières. Deux d’entre elles ont déjà coulé, et les autres doivent chercher de quoi se renflouer.
En Grande-Bretagne, les problèmes de Northern Rock [cette banque a été nationalisée] sont bien connus, et la spéculation et l’incertitude croissantes ont conduit au rachat de la banque HBOS par la banque Lloyds. Le système bancaire britannique est techniquement insolvable : l’encours des prêts et hypothèques s’élève en effet à 256 milliards de livres [322 milliards d’euros], pour des dépôts de seulement 160 milliards de livres [201 milliards d’euros]. Une réévaluation des distribuées par les banques centrales. Le 18 septembre
dernier, pas moins de 180 milliards de dollars de liquidités ont été injectés sur les marchés monétaires mondiaux.
Les auteurs de ce roman d’épouvante – les banques elles-mêmes –
ne sont pas seulement techniquement insolvables. Elles sont également moralement en faillite. L’origine de ces problèmes remonte à plus de dix ans, et la crise des subprimes il y a 18 mois est venue les exacerber. A
l’échelle tant microéconomique que macroéconomique, le crédit est devenu bien trop facile d’accès, entreprises et particuliers augmentant leur exposition au risque à un rythme record, jusqu’à des
niveaux records. Qui sont les responsables ? Ces banquiers même qui vous ont convaincus que vous pouviez sans problème prendre un énième crédit. Ces banquiers mêmes qui ont convaincu tous les
promoteurs immobiliers en herbe de s’endetter pour dynamiser
leurs portefeuilles et accroître leur volume d’affaires. Tout aussi coupables, les banques d’affaires, qui ont emballé les crédits hypothécaires à haut risque en paquets exotiques et ont fait du
porte-à-porte dans les entreprises pour leur vendre ce produit d’investissement des plus fantastiques. Pour le dire simplement, les banques font preuve d’un comportement irresponsable depuis dix
ans et mettent en péril le bien-être de tous. Il y a encore seulement trois ans, n’importe qui pouvait obtenir n’importe quel crédit. A mon retour de Singapour en 1999, j’étais tenu pour
responsable des 862 millions de livres [1,1 milliard d’euros] de pertes qui avaient provoqué l’effondrement de la plus vieille banque d’affaires britannique, et j’étais personnellement redevable
de 100 millions de livres [125 millions
d’euros]. Et pourtant, en l’espace d’une semaine, je me suis vu proposer cinq cartes de crédit différentes. Ridicule ! Toutes les banques centrales vous diront que le système repose sur le
principe du “crédit responsable” ; mais
l’expérience a clairement montré ces dernières années que tout ça n’est que de la foutaise. Plusieurs autres banques vont couler, et nous en paierons tous le prix en dernier ressort. Des dizaines
de milliers de personnes vont perdre leur emploi, ce qui augmentera les tensions sur un marché du travail déjà à bout. Mon rôle dans la faillite de la Barings m’a valu d’être traqué dans le monde entier et, finalement, d’être
condamné à six ans et demi d’emprisonnement à Singapour. Qui va poursuivre les têtes brûlées responsables de cette catastrophe financière ? Manifestement personne. Qui va renflouer les entreprises et les particuliers
aujourd’hui en difficulté ? Les banques ? Certainement pas, leur propre survie est à l’heure actuelle leur seule préoccupation. Quant à nous, nous n’avons qu’à nous débrouiller tout
seuls.
Nick Leeson*, The Guardian, Londres