I- Scandale du Libor : les banquiers sont-ils totalement indignes de confiance ?
Peut-on faire
confiance à un banquier ? C’est en effet la question que l’on est obligé de se poser à la lumière de l’« affaire du LIBOR » qui a éclaté en avril 2008 et qui a connu un
rebondissement dramatique quatre ans plus tard, le 27 juin dernier, quand fut rendue publique la condamnation de la banque britannique Barclays à s’acquitter d’une amende au montant exceptionnel,
équivalent à 365 millions d’euros, pour avoir manipulé la famille de taux appelée LIBOR à la détermination desquels la Barclays participe quotidiennement aux côtés de 15 autres banques à l’époque
des faits, et de 17 autres aujourd’hui.
Le processus de détermination de ces taux LIBOR, valant pour les prêts en dollars, consiste à contacter quotidiennement un certain nombre de banques, à leur demander quel est le taux que réclament d’elles les autres banques pour lui prêter à différentes échéances de courte durée (un mois, trois mois, six mois, un an) et à fusionner cette information en éliminant les valeurs mentionnées les plus extrêmes pour produire un taux qui fera alors référence comme étant le taux flottant déterminé par « le marché ». Un prêt à la consommation pourra par exemple être défini comme étant « LIBOR 6 mois plus 50 points de base », un point de base étant un centième d’un pourcent.
Ce qui est exigé des banques consultées dans la détermination du LIBOR est très loin d’être indifférent de leur propre point de vue, l’information demandée étant en fait extrêmement sensible. La raison en est celle-ci : le taux exigé d’une banque pour lui prêter comprend une prime de risque – qui peut constituer quand les choses vont mal, la part prédominante de ce taux – reflétant de manière généralement assez fidèle le degré de confiance que lui accordent ses prêteuses quant à sa capacité, non seulement de rembourser la somme empruntée, mais aussi de verser les intérêts qui ont été promis contractuellement. Plus la perception est forte qu’il existe un risque de non-remboursement, plus la prime incluse dans le taux réclamé sera élevée.
En étant entièrement franche quant aux taux d’intérêt qu’on exige d’elle pour lui prêter, une banque révèle donc la confiance que lui accordent ses consœurs. La question pourrait être relativement indifférente si n’existait un instrument financier dérivé appelé Credit-default Swap (CDS) qui permet à un prêteur de s’assurer contre le risque de non-remboursement mais que peut également acquérir un simple spéculateur pour parier sur la détérioration de la situation financière d’une firme, permettant que si elle semble en difficulté, ses concurrentes auront la possibilité, non seulement de parier sur sa chute mais aussi, ce faisant, de provoquer celle-ci (cela s’est vu en particulier en 2008). La raison en est que les marchés (et la « science » économique) considèrent qu’un pari – bien que motivé uniquement par le profit – constitue cependant une appréciation neutre d’un risque objectif. Il est donc essentiel pour la survie d’une firme en difficulté qu’elle dissimule autant que possible la valeur exacte des taux qui sont exigés d’elle par les contreparties disposées à lui prêter.
Dans un contexte comme celui de la détermination des taux LIBOR, une banque partie prenante au mécanisme se trouve, lorsque le contexte économique se détériore, dans la situation absolument ingérable de déclencher sa propre disparition au cas où elle serait honnête dans l’information qu’elle soumet à la British Bankers’ Association (BBA), responsable de la centralisation des données : en révélant que la prime de risque exigée d’elle par les consœurs qui lui prêtent augmente, elle présente la jugulaire à ses concurrentes qui voudraient parier sur sa chute. Peut-on alors lui reprocher de mentir, quand on sait que dire la vérité provoquerait immanquablement sa perte ?
On aura donc compris que la manière dont avait été défini le mécanisme de détermination du LIBOR contenait une erreur logique flagrante : elle encourageait les firmes impliquées à mentir aussitôt que le contexte économique cessait d’être optimal. Ceci souligne que – comme c’est malheureusement le plus souvent le cas en finance – la question n’avait été que très imparfaitement conceptualisée par les intervenants, confirmant une fois encore que l’incompétence des financiers constitue dans la plupart des cas un péril plus sérieux que leur volonté délibérée de nuire. Nous trouvons bien entendu beaucoup plus excitant d’invoquer la malveillance des intervenants plutôt que d’être forcé de constater leur stupidité, les faits n’en demeurent pas moins les faits.
Est-ce à dire que l’on ne peut jamais faire confiance à un banquier ? La réponse, à la lumière de l’« affaire du LIBOR », semblerait être oui. Mais le cadre au sein duquel les taux LIBOR sont déterminés met les banques dans une situation impossible lorsque la situation économique se dégrade puisque dire la vérité signifie pour elles compromettre leur existence-même.
Vaudrait-il mieux alors reconnaître honnêtement notre incapacité à conceptualiser correctement les problèmes qui se posent en finance ?
Dans le cas du LIBOR, la question à laquelle doit répondre la banque interrogée dans le cadre de la détermination du taux est : « Quel taux les autres banques (« le marché ») exigent-elles de vous ? » En offrant une réponse, cette banque soit dit la vérité, soit elle ment. Dans le cas de l’EURIBOR, les taux s’appliquant à l’euro, la question posée aux participants est différente : « Quel est le taux interbancaire exigé par une banque de qualité d’une autre banque de qualité ? » Il est clair que dans ce cas-ci, à la question : « Avez-vous dit la vérité ou menti ? », la réponse sera toujours la même : « J’ai cru dire la vérité mais si je ne l’ai pas dite, ce n’est pas parce que j’ai menti : c’est simplement que j’étais mal renseigné ! ». Il n’y aura jamais de fraudeur, seulement des incompétents.
Cela vaudrait-il mieux ? J’en doute : c’est dans l’esprit de cette philosophie particulière que l’on a modifié au cours des années récentes le droit des affaires : la fraude est désormais exclue, il n’y a plus que des maladroits – et dont le bonus est garanti par contrat. Voyez la faillite de la banque franco-belge Dexia pour un exemple récent.
La question doit donc être posée en d’autres termes : pourrait-on faire confiance à un banquier si on ne l’obligeait pas à se suicider s’il disait la vérité ?
Paul Jorion
II- Scandale du Libor: deux banques françaises dans le collimateur
Les régulateurs bancaires se penchent sur les relations qu'entretenaient d'anciens employés de la Société Générale et du Crédit Agricole avec les traders de la Barclays. En tout, quatre banques européennes sont concernées.
Les régulateurs bancaires enquêtant sur le scandale du Libor se penchent sur les
liens entre les traders de la banque britannique Barclays, à l'origine du scandale, et ceux de quatre autres banques européennes, dont deux françaises, selon le Financial
Times.
Il s'agirait d'employés des banques françaises Société Générale et Crédit Agricole, de l'allemande Deutsche Bank et de la britannique HSBC, selon le site internet du journal britannique qui cite des sources proches du dossier, et qui précise que ces personnes ne travaillent plus pour les banques en question. Selon le journal, les régulateurs enquêtent sur les liens qu'aurait pu tisser un des traders de Barclays impliqué dans le scandale avec des homologues de ces banques.
Interrogée sur le sujet par l'AFP, la banque française Crédit Agricole a assuré ce jeudi ne faire l'objet "d'aucun grief" dans le cadre de l'enquête sur les manipulations du Libor, rappelant qu'elle a répondu aux demandes d'information sur le sujet. Concernant le Libor, Crédit Agricole rappelle aussi qu'il n'a intégré qu'en novembre 2010 le panel de banques participant à la fixation quotidienne de ce taux. Or, les manipulations reconnues par Barclays sont intervenues entre 2005 et 2009. Néanmoins, le Financial Times précise que les liens entre les traders de la Barclays et les banques européennes concernent l'Euribor, et non le Libor. L'Euribor est l'autre taux de référence des prêts entre banques sur le marché interbancaire.
Selon les informations de l'hebdomadaire allemand Der Spiegel publiées dimanche 15 juillet, la Deutsche Bank a proposé aux autorités européennes et suisses de coopérer totalement avec les enquêteurs, afin d'éviter une condamnation trop lourde, en bénéficiant d'un statut de "témoin repenti"....
La Chambre des Communes britannique va constituer une commission d'enquête parlementaire sur le sujet et l'office britannique de lutte contre la délinquance financière (SFO) s'apprête à ouvrir une enquête pénale. La Commission européenne a également lancé une enquête sur l'ensemble des principaux taux du marché interbancaire.
Concernant l'implication éventuelle de banques françaises, le gouverneur de la banque de France Christian Noyer a déclaré mercredi 18 juillet qu'"elles ont été interrogées par les autorités compétentes et les réponses, apparemment, ont été satisfaisantes puisqu'à ce stade, il n'y a aucune suite". "Pour l'instant, personne n'a dit, n'a émis l'idée qu'elles avaient participé", a-t-il martelé...
Des répercussions sur l'ensemble de la finance mondiale
Le Libor est un taux interbancaire auquel une banque prête ou emprunte de l'argent à une autre pour assurer son financement de court terme. C'est un marché non réglementé, dit de gré à gré, sur lequel les banques sont présentes quotidiennement afin d'équilibrer leurs comptes.
La circulation des liquidités sur ce marché est essentielle au bon fonctionnement du système bancaire et financier et ces taux ont des répercussions sur l'ensemble de la sphère financière, en particulier les produits financiers dérivés qui brassent des sommes gigantesques. Ils servent également de référence indirecte pour des crédits aux ménages et aux entreprises.
Sources : Challenges.fr / AFP