La population, vraie coupable de la crise économique
Chocs financiers, surabondance d’épargne, stagnation séculaire... Le paysage économique de ces dernières années pourrait bien avoir une cause première : le recul de la population active. Une vraie redécouverte.
Il faut affronter la réalité en face : nos pauvres économistes n’en peuvent plus. Depuis sept ans, ils cherchent à comprendre pourquoi diable la plus grave crise économique et financière depuis près d’un siècle a bien pu éclater quelque part à la fin des années 2000. Logiquement, nos Sherlock Holmes et Docteur Watson de la chose économique ont d’abord enquêté sur les excès des banquiers, symbolisés par le crédit « subprime » américain et les délires de la titrisation. Il y avait là une vraie raison ! Encore fallait-il savoir le pourquoi du comment. Ils ont donc remonté la piste des déséquilibres financiers, induits par le recyclage des énormes surplus commerciaux chinois ou les malfaçons de l’union monétaire européenne. Très bonnes explications ! Ils ont alors tâtonné dans la « stagnation séculaire ». Robert Gordon, professeur à l’université américaine de Northwestern, a invoqué l’épuisement des gains de productivité, malgré les promesses des technologies de l’information. Larry Summers, un autre Américain qui fut secrétaire au Trésor de Bill Clinton et président de l’université d’Harvard, penche plutôt pour une épargne devenue tellement excessive que les marchés ne peuvent plus équilibrer l’offre et la demande (d’argent, de marchandises, de travail). Seule la chimère des taux d’intérêt négatifs peut alors relancer l’activité. Magnifiques motifs !
Sauf que toutes ces excellentes raisons n’expliquent pas vraiment pourquoi l’économie mondiale est condamnée à l’apathie. Dans leur dernier rapport paru la semaine dernière, les économistes du FMI acceptent enfin cette dure réalité. Après n’avoir cessé de réviser en baisse leurs prévisions de production ces dernières années, ils admettent que, depuis la crise, « la croissance potentielle a décliné de 0,5 point dans les pays avancés et de 2 points dans les pays émergents ». Et la première explication du déclin n’est pas la baisse de l’investissement, comme ils l’avaient cru, mais… la démographie. Bon sang mais c’est bien sûr ! Pour produire davantage, il faut du capital, de l’énergie (un facteur souvent oublié), si possible du progrès technique, mais aussi et encore et d’abord des hommes et des femmes. Or leur nombre n’est pas figé, de même que leur qualification.
Pour comprendre ce qui se passe, il faut revenir soixante ans en arrière. Après la guerre, les pays développés sont en plein baby boom. Des chères têtes blondes partout! Dans les années 1960 et 1970, ces babyboomers viennent grossir la population active et la production. Le mouvement est amplifié par les femmes, de plus en plus nombreuses sur le marché du travail. Mais aujourd’hui, des dizaines de millions de babyboomers aux tempes grises approchent de leurs vieux jours. Le premier effet est simple : la population en âge de travailler baisse après avoir monté pendant des décennies. En Europe, la rupture se produit précisément… en 2009, année de la Grande Récession : le nombre de 20-60 ans qui progressait jusqu’alors de 0,4% l’an (un peu plus en France) commence à diminuer de 0,2% (y compris en France). En Chine, l’inversion de la courbe vient de se produire. « A moins que les progrès de la productivité du travail compensent le vieillissement de la population active, les prochaines cinquante années verront une chute de près de 40% dans les taux de croissance du PIB et d’environ 20% dans la progression du revenu par tête », estiment les spécialistes du cabinet de conseil McKinsey .
Cette baisse est amplifiée par l’anticipation des retraites. Dans tous les pays avancés, qu’il y ait ou non des incitations, « la propension à participer au marché du travail commence à décliner brutalement au-delà d’un certain âge, typiquement au début de la cinquantaine », relèvent les experts du FMI. Une population active qui vieillit est une population moins active. Et au-delà du nombre se pose une question de qualité. L’éducation étant une activité à rendement décroissant, l’allongement des études profite moins à l’efficacité du travail aujourd’hui qu’hier. Au FMI, on parle d’un déclin de la croissance du capital humain.
Mais ce n’est pas tout. En changeant de structure, une population change aussi de comportement. A la quarantaine, les babyboomers sont entrés dans l’âge du bas de laine. « Depuis le début des années 1980, les tendances démographiques ont exercé une pression à la hausse sur les taux d’épargne », notent . C’est en Chine que le mouvement a été le plus marqué. Les montagnes d’épargne qui se sont formées partout dans le monde ces dernières décennies, et qui ont alimenté déséquilibres et bulles boursières, s’expliquent donc par la démographie. Et la crise traduit peut-être au fond d’abord une rupture démographique, avec une baisse de la population active qui touche toutes les régions du monde, et qui va faire baisser l’épargne. A l’exception de l’Afrique qui pourrait donc devenir le continent de la croissance pendant les deux décennies à venir.
Les économistes savent bien que la démographie est, ou devrait être, au cœur des analyses sur la croissance. C’est ce que disait le patron de l’Association américaine des économistes lors de son adresse présidentielle : « Comprendre comment ajuster la politique économique aux futurs changements démographiques sera une question cruciale pour les gouvernants des pays industriels vieillissants ». Pas l’actuel patron, mais un certain Alvin Hansen, qui prononça ces mots en… 1938. Celui-là même qui a forgé l’expression « stagnation séculaire » pendant la Grande Dépression des années 1930. Oui, vraiment, pauvres économistes !
Par Jean-Marc Vittori / lesechos.fr