Maroc : La flexibilité n’est pas la panacée


Une sourde bataille oppose à présent adversaires et partisans de la flexibilité du dirham marocain.
Cette libéralisation récente de la monnaie du pays, serait-elle en mesure de relancer la situation économique du Maroc ?
En principe et comme chacun le sait, l’efficacité de toute politique monétaire dépend essentiellement de la politique de change, et réciproquement. Et toute modification du taux de change agit sur les échanges de biens et services avec l’extérieur.
Définition du taux de change.
Entendons-nous d’abord sur la définition du taux de change. C’est un rapport qui mesure le prix d’une unité de monnaie ( 1€ ; 1$ ; 1£ ...) exprimé dans une autre monnaie.
Ainsi, on peut dire que 1€ vaut 1,30 $ ; que 1£ vaut 1,25 € ; 1$ vaut 10 DH marocain ; que 1€ vaut 11 DH...
Cette définition facilite la compréhension des termes « appréciation » et « dépréciation » de la monnaie.
Lorsque le taux de change du € monte (par exemple de 1,30 à 1,35) cela signifie qu’il s’est apprécié par rapport au $. Inversement, l’euro se déprécie quand le taux de change baisse (par exemple de 1,30 à 1,25).
Comment et pourquoi une monnaie s’apprécie-t-elle ou se déprécie-t-elle ?
Les monnaies convertibles s’échangent sur le marché des changes. Il s’agit d’un marché constitué par des réseaux internationaux de communications et de règlements qui mettent en relation les banques, les banques centrales et les intermédiaires spécialisés. Ce marché permet de centraliser en continu toutes les offres et les demandes d’une devise contre une autre.
C’est un espace de négociation où les prix varient en permanence en fonction de l’offre et de la demande.
Le taux de change fluctue donc librement. On dit alors que l’on est dans un « régime de changes flexibles » ou encore de « changes flottants ». Dans ce cas, une monnaie s’apprécie lorsqu’elle est plus demandée qu’offerte ; dans le cas contraire, elle se déprécie.
La balance des paiements et son impact sur le taux de change
Les agents résidents du pays ont besoin et donc demandeurs de monnaies étrangères pour :
- payer des importations des biens et de service ;
- transférer des revenus vers l’étranger (profits des IDE, contributions versées à des organisations internationales, aides à des Etats étrangers, réaliser des investissements à l’étranger, remboursements des dettes et intérêts...)
- réaliser des placements financiers à l’étranger (actions, obligations...)
Réciproquement, les agents résidents reçoivent des devises étrangères – et sont donc offreurs de ces devises contre leur monnaie nationale :
– lorsqu’ils exportent des biens et des services ;
- lorsqu’ils empruntent des fonds à l’étranger ;
- Lorsque des agents étrangers viennent investir ou placer des capitaux dans le pays;
- lorsque les résidents autochtones à l’étranger procèdent au transfert d’une partie de leurs salaires à leurs familles restées au pays.
L’ensemble des opérations citées ci-dessus compose ce que l’on appelle la « balance des paiements ». Il s’agit d’un compte qui recense toutes les opérations qui entraînent une entée de devises dans le pays ou une sortie de devises vers le reste du monde.
En fait, la balance de paiements se compose de 3 sections :
- la « balance commerciale » qui enregistre les exportations et les importations des marchandises (les biens matériels) ;
- la « balance des transactions courantes » (BTC) qui regroupe la « balance commerciale », les échanges des services (dépenses des touristes, assurances, transports etc.) et les tranferts courants (revenus, dons, subventions...)
- la « balance des capitaux » (BCA) regroupe tous les flux associés aux investissements, prêts, emprunts, placements etc.
Soit :
La balance globale des paiements (BG) = balance des transactions courantes (BTC) + balance des capitaux (BCA)
Au total, l’addition de BTC Et BCA, c'est-à-dire de toutes les entées et sorties de monnaie donne la ba balance globale de paiements (BG).
Donc, si cette addition donne un solde positif, cela veut dire que le pays reçoit plus de monnaie qu’il n’en verse à l’étranger.
On dira qu’un excèdent de la balance globale reflète une « entrée nette » de devises (entrées supérieures aux sorties). Réciproquement un déficit implique une sortie nette de devises hors du pays.
Comment donc cela agit sur le taux de change ?
Dans le cas du Maroc, le régime de change est actuellement semi-flexible. Il ne varie pas librement en fonction de l’offre et la demande. La variation du taux de change s’entend sur une marge de fluctuation de 2,5% par rapport à la parité. Par conséquent, dés que le marché tend à dépasser la marge autorisée, la Banque Centrale du Maroc dite Bank Al Maghrib doit intervenir.
Si par exemple le dirham marocain risque de s’apprécier de plus de 2,5% par rapport au dollar, cela reflète une demande excédentaire de la monnaie du pays contre le dollar. La Banque Centrale du Maroc doit réagir et offrir davantage de DH contre des dollars pour ramener le taux de change dans la marge autorisée.
En sens inverse, si le dirham menace de se déprécier de plus de 2,5%, Bank Al Maghrib doit vendre des dollars qu’elle détient contre des dirhams, pour soutenir la demande et la valeur de la monnaie marocaine.
Selon les autorités du pays, la marge de fluctuation est appelée à évoluer par paliers, c'est-à-dire par augmentation successive de la marge de fluctuation, et ce jusqu’à la libéralisation totale du dirham.
Mais le hic est la situation économico-financière du Maroc qui est particulièrement fragile :
- faibles réserves en devises de l’ordre de 22 Mds ;
- balance de paiement structurellement déficitaire ;
- balance commerciale alarmante : couverture des importations par les exportations est d’environ 53 % max;
- Croissance médiocre fonction de la pluviométrie et variant entre 1,5 à 4,5% ;
- un déficit budgétaire substantiel et structurel de l'ordre de 4% du PIB ;
- endettement extérieur grandissant atteignant un montant de l'ordre de 30 Mds de dollars ;
- dette publique globale supérieure à 80% du PIB; -
- Un chômage supérieur à 10% ;
- accélération des défaillances d’entreprises : plus de 7.000 faillites enregistrées en 2016 et plus de 8.000 en 2017 ;
- un niveau d’inégalités particulièrement élevé : une part importante de la population est pauvre et vulnérable;
- un pouvoir d’achat dérisoire...
Au vu de cette situation déficiente, la monnaie du pays ne peut évoluer que dans le sens d’une dépréciation continue liée à l'amplification graduelle de la marge de fluctuation, ce qui correspond par conséquent à une succession de dévaluations.
Corollaires et conséquences des dépréciations successives prévues
Théoriquement, toute dépréciation de la monnaie entraîne un renchérissement des importations et une diminution de la valeur en devises des exportations qui sont censés se développer en conséquence.
Ce qui, en toute logique, affecte la valeur des échanges puisque les consommateurs nationaux vont acheter des produits d’origine nationale au détriment des biens importés devenus plus chers, tandis que sur les marchés extérieurs, les produits du pays, devenus moins chers, auront tendance à se substituer aux produits concurrents.
Par conséquent, la dépréciation a donc pour effet théorique d’améliorer la balance commerciale, ou plutôt de réduire le déficit commercial.
Mais dans la réalité quotidienne, le problème est plus complexe. En effet, une même évolution des taux de change a des conséquences différentes selon les pays. De toute façon, les effets positifs ou négatifs d’une dépréciation ne semblent pas jouer immédiatement. On constate généralement, surtout dans les pays semi-industrialisés comme le Maroc, une certaine dégradation plus rapide liée au renchérissement des importations qu’un accroissement immédiat des exportations. Et ce n’est que dans un deuxième temps seulement qu’ on remarque qu’une extension des exportations compense en partie le renchérissement des importations.
Cette situation s’explique avant tout par la part de l’énergie dans les importations. Car une dépréciation alourdit la facture pétrolière. Ce phénomène joue aussi sur les biens qui n’ont pas de substituts dans le pays et qui doivent être importés tel qu’en soit le prix (essentiellement des biens d’équipement, des produits agricoles et autres matières premières) et il permet de comprendre qu’un effort à l’exportation s’accompagne toujours d’ un accroissement des importations : « le contenu en importations » des exportations s’accroît parallèlement à ces derniers.
A signaler en outre que du côté des exportations, le comportement des exportateurs peut contrecarrer l’effet de baisse des prix liées à une dépréciation. Ils profitent en effet de la dépréciation pour améliorer leurs marges bénéficiaires plutôt que pour réduire le prix en devises de leurs produits. Ce comportement de marges réduit ainsi les effets positifs escomptés d’un changement de parité du dirham sur les échanges extérieurs. Sans doute faut-il voir dans ce phénomène le rôle de moins en moins important des prix relatifs dans les échanges internationaux : la qualité, le service, l’après-vente, la marge, le respect des délais de livraison importent davantage que le prix lui-même.
Est-ce à dire pour autant que les modifications de parité n’exercent plus aucun impact sur les économies concernées, ou encore qu’il soit impossible de redresser la balance commerciale ?
En fait, le changement dans la valeur des monnaies agissent aujourd’hui davantage sur la formation des prix que sur le volume des échanges entre les pays.
En outre, il est vite apparu que la première conséquence d’une dépréciation est d’entretenir l’inflation. A travers le coût de l’énergie, des matières premières et des biens d’équipement importés, la dépréciation conduit à un accroissement des prix intérieurs, et par le jeu des indexations, à une augmentation de l’inflation qui annule les effets favorables escomptés. On aboutit plutôt à un « cercle vicieux » de la dépréciation qui se traduit par les enchaînements suivants :
Dépréciation ---inflation et perte de compétitivité---dégradation---dépréciation du solde commercial
L’examen de ce mécanisme conduit alors logiquement à rejeter totalement le « cercle vicieux » de la libéralisation-dépréciation du dirham pour revenir à un taux de change fixe approprié.
En fait, il semble difficile de généraliser un schéma valable dans un pays à l’ensemble des autres nations. Ce qui est favorable pour l’Espagne et le Portugal n’est pas forcément applicable au Maroc.
Certes, la logique de la dépréciation semble correspondre à une tentation permanente des industriels marocains : Textile, agro-alimentaire, mines... Pour la simple raison qu’elle leur procure une marge supplémentaire en monnaie nationale.
La situation du commerce extérieur du Maroc avec des importations sensibles aux variations de prix (pétrole, biens d’équipement, matières premières...) et des exportations dont les prix en devises ne bougent guère lors d’une dépréciation, semble toutefois montrer l’inefficacité de la politique de flexibilité récemment adoptée par les pouvoirs publics pour redresser le solde commercial. Cette politique ne peut en aucun cas viser à réduire des déséquilibres extérieurs. Il ya risque d’aggravation de la situation déjà délicate et pénible du pays.
Cas de forte pression sur les réserves de change
Si in fine la Banque Centrale du Maroc ne peut vraiment plus défendre le taux de change, le gouvernement sera obligé soit de dévaluer, c'est-à-dire d’abaisser la parité que la Banque al Maghrib s’engage à défendre, soit de sortir du système de change en laissant flotter sa monnaie.
Cela dit, avant d’arriver là, la Banque Centrale dispose d’un autre instrument pour défendre la parité de sa monnaie : la hausse des taux d’intérêt dans l’espoir que les investisseurs puissent profiter d’une meilleure rémunération. Cet afflux éventuel de capitaux va entretenir une forte demande pour le dirham et soutenir éventuellement le taux de change de la monnaie.
Gare à la spéculation
Quand la circulation internationale des capitaux et les techniques financières sont parfaitement libres, la spéculation devient un facteur autonome dans la détermination des taux de change. Un facteur qui, dans certains cas, peut déconnecter la valeur de la monnaie de toute réalité économique objective et de toute volonté politique.
Les spéculateurs peuvent en effet emprunter des sommes colossales sur le marché mondial des capitaux et les placer pour faire monter ou descendre la valeur de n’importe quel actif ou instrument financier coté sur une bourse (matières premières, devise, action...).
Sur le marché des changes, le volume des capitaux susceptible de se déplacer rapidement d’une monnaie vers une autre est tel que les spéculateurs peuvent anéantir la capacité des banques centrales à défendre un taux de change.
Ainsi, en septembre 1992, la Banque d’Italie puis la Banque d’Angleterre sont contraintes de dévaluer leur monnaie et de sortir du Système Monétaire Européen, après quelques semaines de spéculation intense.
La petite histoire retient qu’un seul homme, le financier américain George Soros, a pu décider du sort de la livre sterling.
Le principe général de ce genre d’attaque spéculative est simple. Par exemple, les spéculateurs empruntent des milliards de livres et vendent celles-ci contre des dollars au taux de change défendu par la Banque d’Angleterre.
Le taux de change de la livre devrait alors se déprécier, mais la banque centrale empêche la livre de tomber en achetant des milliards de livres contre les dollars qu’elle détient dans ses réserves de change. Sauf que les réserves de change sont vite épuisées.
La banque centrale pourrait alors relever ses taux d’intérêt à un niveau suffisant pour attirer massivement des dollars : si la croissance est faible et le chômage élevé, la banque centrale doit raisonnablement renoncer à accabler davantage son pays. Donc, sans dollars, elle ne peut plus soutenir le cours de la livre, et la dévaluation est alors inévitable. Si la livre est dévaluée de 15%, un capital de 100 £ emprunté et converti en dollars avant la dévaluation, vaut 115£ après celle-ci. Après remboursement des 100£ empruntées et, disons 1£ d’intérêts, il reste 14 £ de profit, c'est-à-dire 140 millions de livres par milliard engagé dans l’opération ! Voilà comment les spéculateurs font fortune.
LE RISQUE DE CHANGE ET SA COUVERTURE
Le risque de transaction
Le risque de change de transaction est le risque de perte lié aux variations de cours de change. Toutes les entreprises réalisant des opérations commerciales ou financières engagées en devises sont confrontées à ce risque. Une variation de quelques points de la parité entre la monnaie nationale, généralement monnaie de référence, et la devise étrangère, peut remettre en question la rentabilité de toute affaire internationale facturée en devises.
Ce risque n'est donc pas à négliger ! Au contraire, il implique pour l'entreprise, dont son trésorier, comptable ou financier, une attention particulière qui sera d'autant plus assidue que le nombre de transactions avec l'étranger est élevé et que ces transactions sont diversifiées.
Il est indispensable que l'entreprise définisse dans un premier temps sa politique générale de couverture à l'égard du risque de transaction. Quel niveau de risque l'entreprise est-elle prête à assumer ? Voudra-telle se couvrir en toute circonstance et en assumer le coût, ou adoptera-t-elle une attitude spéculative ? Une fois les réponses à ces questions déterminées, l'entreprise se tournera vers les actions suivantes :
. elle mesurera le risque auquel elle est confrontée au travers de la position de change
· elle estimera l'évolution probable du cours des devises mises en jeu
· elle analysera les techniques de couverture existantes
· elle fera un choix quant à la technique de couverture la plus appropriée.
L'entreprise qui vend ou qui achète à l'étranger dans une monnaie différente de la sienne encourt un risque de change de transaction. En effet, entre le moment où l'offre de prix est remise à l'acheteur et le moment où celui-ci payera, les monnaies peuvent fluctuer les unes par rapport aux autres, avec des incidences positives ou négatives selon les cas, et selon que l'on est vendeur ou acheteur. Il convient alors de déterminer sa position de change et de définir une politique de couverture du risque, de préférence avec votre banquier :
- Pour choisir la stratégie adaptée à vos besoins :
- soit mettre en place des couvertures « au cas par cas », au travers d’opérations de change à terme ou d’achats d’options, lors de chaque transaction effectuée à l’international,
- soit utiliser des techniques de couverture garantissant un courant d’affaires, pour simplifier la gestion de votre risque de change.
- Pour définir les techniques de couverture pure
- Le change à terme : vous permet de figer dès à présent le cours futur de la devise et correspond au cours budget de votre transaction commerciale.
- L’option de change : vous offre la possibilité, moyennant le paiement d’une prime, de vous protéger contre une évolution défavorable de la devise, tout en vous permettant de bénéficier d’un retournement de marché.
A suivre...