Chasse à l’homme et présomption de culpabilité…

Drôle d’époque que celle où nous vivons aujourd’hui ! Celle des emballements médiatiques, des émotions, des fausses nouvelles, des bobards, des contradictions permanentes entre les paroles et les actes, des procureurs auto-désignés pour la circonstance… La question du harcèlement sexuel – il n’est pas question ici de nier la réalité d’un phénomène grave puni par la loi – fait la une des médias depuis les révélations de l’affaire Weinstein. La parole des femmes se serait libérée, nous dit-on. La machine à délation, la lapidation en ligne aussi avec tous les hashtags (#balancetonporc et #meetoo) et autres réseaux sociaux qui donnent le la de la bienpensante. Il ne se passe pas une seule journée sans que nos perroquets à carte de presse ne livrent en pâture le nom d’un coupable médiatique et cela sans autre forme de procès. Cela a pour nom la « justice 2.0 » dont le principe est : « vous êtes accusé… vous êtes condamné ! » (Cf. la caricature parue dans le volatil du 31 janvier 2018 en page 6).
L’avant-dernier en date est le jeune ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, transfuge de la droite, accusé de viol après qu’une première information ait été classée mais qui se retrouve sur la sellette bien malgré lui. Aussitôt, certains (certaines) réclament sa tête et exigent sa démission immédiate de ses fonctions au nom de la morale et de l’exemplarité. Accusé de viol (il aurait implicitement arraché le consentement de cette ancienne « call girl » à une relation sexuelle en échange d’une intervention auprès du Garde des Sceaux), puis d’abus de pouvoir (antienne très à la mode dans les relations de travail), il est présenté, une fois de plus, comme la victime expiatoire à brûler sur le bûcher médiatique pour satisfaire l’esprit de vengeance qui est dans l’air du temps. Nous éviterons de nous prononcer sur la réalité des faits, n’ayant pas eu accès au dossier. Pas plus que sur le dossier de harcèlement sexuel imputé aujourd’hui à Nicolas Hulot.
Qu’une centaine de femmes, dont Catherine Deneuve tentent de calmer le jeu de l’opposition femmes-hommes, il y a quelques jours, et elles sont immédiatement traînées dans la boue au nom de la rupture de la solidarité féminine ! Au nom de la liberté d’expression, il y a certaines choses que l’on ne peut plus dire, d’idées que l’on ne peut plus défendre. On l’aura compris, la chasse à l’homme, avec quelques relents de maccarthysme, est ouverte, certaines pensant que cela va faire avancer la cause légitime des femmes victimes de violences intolérables. Car, au-delà de cet aspect quasi-anecdotique, le problème qui est posé est de plus grande ampleur (Cf. affaires Daval, Mathieu Gallet…). Il touche à un principe cardinal dans une démocratie, un état de droit, celui de la présomption d’innocence. Concept particulièrement galvaudé et malmené de nos jours, y compris par ceux qui devraient en être les gardiens, à savoir certains magistrats peu scrupuleux. De quoi s’agit-il au-delà d’une clause de style ? D’un garde-fou destiné à protéger tout citoyen (nne) contre l’arbitraire et non pas d’une lubie de juriste vétilleux. Au lieu de parler dans le vide reportons-nous à trois textes essentiels en la matière – qui dépassent le strict cadre hexagonal – dont une immense majorité ignore tant l’existence que le contenu.
L’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU du 10 décembre 1948 précise : « Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires lui auront été assurées ».
La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du Conseil de l’Europe signé à Rome le 4 novembre 1950 (la France ne la ratifiera qu’en 1973 en raison de l’opposition du Conseil d’État) précise à son article 6 (« Droit à un procès équitable ») alinéa 2 : « Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». On ne saurait être plus clair !
La Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne du 18 décembre 2000 reprend le même principe à son article 48 (« Présomption d’innocence et droit de la défense ») alinéa 1 : « Tout accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». Il est complété par un alinéa 2 ainsi rédigé : « Le respect des droits de la défense est garanti à tout accusé ». Ce texte vient conforter le premier s’il en était encore besoin.
« En ce temps d’indignation et d’anathèmes, il n’est plus de place pour la réflexion, la nuance, le doute, et, encore moins, pour le second degré » nous rappelle justement Renaud Dély dans Marianne du 26 janvier 2018. Or, il faut le reconnaître, nous vivons désormais dans un régime permanent de présomption de culpabilité qui sape les fondements même de notre démocratie, de notre état de droit. Sous prétexte de défendre une juste cause – celle des femmes victimes de violences sexuelles, répétons-le -, on ne peut faire tout et n’importe quoi. À ce rythme, la France pourrait lentement mais sûrement se transformer en un État totalitaire, en une dictature bafouant les « Droits de l’Homme et les Libertés Fondamentales ». Est-ce bien cela que certains (nes) souhaitent pour la patrie des Droits de l’Homme ? Avant de restreindre les libertés, essayons d’appliquer les lois qui existent déjà. Quand enseignera-t-on dans les écoles de la République quelques rudiments de droit à nos enfants afin de les éduquer sur l’équilibre entre droits et devoirs ? Il est inacceptable que la curée débouche sur une chasse à l’homme organisée sur la base d’une présomption de culpabilité. Stop ! « La présomption d’innocence, c’est pas seulement quand ça vous arrange. C’est pour tout le monde et c’est tout le temps », déclarait il y a quelques semaines encore le premier ministre, Edouard Philippe. Veut-on encore se battre pour faire respecter des principes aussi fondamentaux dans une démocratie quoi qu’il en coûte sur le terrain glissant de la morale ?
Ali Baba
source:http://prochetmoyen-orient.ch/chasse-a-l-homme-et-presomption-de-culpabilite/