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Les dessous d'une gigantesque fraude et la fin du secret bancaire

Publié par medisma sur 10 Juin 2014, 20:22pm

I- Affaire HSBC : les dessous d'une gigantesque fraude

 

Les soupçons se précisent contre la banque suisse HSBC qui aurait mis en place un vaste système d'évasion fiscale. | AFP/FABRICE COFFRINI

L'affaire des fichiers HSBC pourrait ébranler la place bancaire genevoise. L'enquête judiciaire sur les contribuables français ayant placé leur argent en Suisse prend une dimension européenne, et met désormais directement en cause HSBC Private Bank.

Dans des documents judiciaires auxquels Le Monde a eu accès, les magistrats annoncent clairement leur volonté de mettre en examen le célèbre établissement bancaire suisse, en qualité de personne morale. Une équipe franco-belge d'enquêteurs est également mise sur pied. HSBC Private Bank est suspectée d'avoir incité près de 3 000 contribuables français à frauder le fisc, pour un montant global de plus de 4 milliards d'euros selon le calcul fait en 2013 par Christian Eckert, alors rapporteur de la commission des finances de l'Assemblée. Elle aurait également mis en place un complexe système de sociétés écrans, destiné à brouiller les radars du fisc.

Lire l'article paru en janvier (en édition abonnés) : Evasion fiscale : l'enquête explosive sur les listes de HSBC

L'IMPLICATION DE LA BANQUE CONFIRMÉE

L'enquête française a franchi plusieurs étapes décisives ces dernières semaines. Après avoir authentifié les fichiers à l'origine de l'affaire, les enquêteurs ont accumulé documents et témoignages confirmant l'implication de la banque dans un système de fraude fiscale généralisée, et ce à l'échelle planétaire. Dans une ordonnance de saisie visant à bloquer les avoirs placés sur certains comptes, les juges parisiens Renaud Van Ruymbeke et Charlotte Bilger ont synthétisé, le 27 février, leurs investigations, déclenchées par la découverte de listings clients dérobés par un ancien employé de HSBC, Hervé Falciani, et portant sur la seule période 2005-2006.

Les deux magistrats, saisis d'une instruction ouverte pour « démarchage illicite » et « blanchiment en bande organisée de fraude fiscale », écrivent ceci : « Il apparaît au vu des éléments recueillis par l'information que la banque HSBC Private Bank (Suisse), dans le cadre des faits de blanchiment dont nous sommes saisis, a bénéficié du produit des faits de fraude fiscale et a, en organisant l'opacification de flux financiers, blanchi les fonds d'origine illicite en permettant à des milliers de clients détenteurs d'avoirs très importants de les soustraire à l'administration fiscale française. »

« En effet, précisent les juges, l'établissement bancaire HSBC Private Bank a mis à disposition de ses clients des comptes au nom de sociétés offshore et les a conseillés afin qu'ils puissent dissimuler leurs avoirs. » Conclusion : « Dès lors, la banque HSBC Private Bank est susceptible d'être mise en examen pour des faits de blanchiment de fraude fiscale. » Ils ajoutent, s'agissant des listings Falciani, que leur « authenticité a été vérifiée par les auditions de nombreux titulaires de comptes qui ont du reste transigé avec l'administration fiscale sur la base de ce fichier ».

UNE ENQUÊTE COMMUNE AVEC LA BELGIQUE
 
Ces affirmations sont susceptibles de provoquer un nouveau tollé en Suisse. En effet, les autorités helvétiques, attachées au secret fiscal, jugent infondées les poursuites lancées à partir de listings volés. D'autre part, elles accusent le fisc et la justice français d'avoir falsifié les fichiers originaux – ce que l'enquête des juges français dément totalement.

Autre élément à même d'inquiéter la Confédération helvétique, Renaud Van Ruymbeke et Charlotte Bilger ont signé, le 4 juin, avec leur homologue du tribunal de Bruxelles, le juge Michel Claise, un protocole d'accord pour la création d'une équipe commune d'enquête franco-belge.

Le texte précise que les deux pays sont aux prises avec des faits similaires : ainsi, HSBC est accusée d'avoir « permis à des clients fortunés belges de dissimuler leurs avoirs aux autorités fiscales belges (voire aux autorités judiciaires) causant ainsi un préjudice très important au Trésor public ». Le protocole indique que depuis le déclenchement de « l'affaire Falciani », en décembre 2008, « HSBC Private Bank a exigé de certains de ses clients de quitter rapidement la banque tout en leur conseillant de transférer leurs avoirs chez HSBC à Tel-Aviv ».

DES PARAVENTS POUR LES FRAUDEURS

Ce n'est pas tout. L'analyse, par les gendarmes de la section de recherches de Paris, des rapports de visite effectués chez HSBC par les gestionnaires de comptes, lorsque ceux-ci rencontraient leurs clients, est aussi embarrassante. « L'exploitation (…) révèle la mise en place par HSBC Private Bank de Genève d'un dispositif frauduleux destiné à éviter l'assujettissement de ses clients à la taxe ESD », indiquent les gendarmes. Cette taxe fut instituée en 2005 à la suite d'une directive européenne sur la fiscalité et l'épargne.

Les enquêteurs expliquent encore que les clients de HSBC Genève « qui ne souhaitaient pas payer cette taxe » se sont vu proposer par des employés d'HSBC « la création d'une structure de type société offshore, fondation ou trust, ayant pour vocation de se substituer à la personne physique ». Les clients « ont majoritairement opté, sans autre motif que celui d'éluder les charges fiscales, pour la création d'une ou plusieurs structures du type précité », selon les gendarmes, qui ajoutent : « Les constitutions des fondations et trusts ont généralement été retenues par les clients bénéficiant d'avoirs importants, principalement pour des raisons de succession. Certains clients fortunés ont combiné les structures en constituant un trust détenant une société offshore. » Autant de paravents assurant l'impunité aux fraudeurs.

« L'exploitation des rapports révèle également que certains gestionnaires de clientèles de la banque HSBC sont venus démarcher en France leurs propres clients afin de leur “vendre” la création de sociétés offshore et l'ouverture de compte pour celles-ci, solution proposée par HSBC Private Bank pour éviter la nouvelle taxe européenne », notent enfin les gendarmes.

Lire l'éclairage : Sociétés écrans, placements offshore : les clients d'HSBC s'expliquent

Les rapports saisis en perquisition « dénotent du concours proactif de la banque sur le territoire national français aux opérations de blanchiment de la fraude fiscale ». D'après les gendarmes, « certains rapports indiquent très clairement que la banque a manifestement connaissance que des comptes ne sont pas déclarés à l'administration fiscale. D'ailleurs la régularisation fiscale des clients apparaît contraire aux intérêts de la banque, comme en témoigne un rapport indiquant que la banque a tenté de dissuader un client qui “veut se mettre en règle” avec le fisc belge en liquidant sa société offshore ». Ils soulignent que « l'attrait de la banque repose essentiellement sur un ensemble de techniques proposées à une clientèle désireuse de pouvoir frauder le fisc en toute sécurité ».

En conclusion, les gendarmes accusent HSBC d'avoir « apporté un concours de façon habituelle à des opérations de dissimulation et de placement du produit de la fraude fiscale. (…) Certains conseillers de clientèles travaillant pour HSBC Private Bank ont réalisé des actes de démarchage bancaire ou financier de prospects français ou résidant sur le territoire national français, dont les fonds obtenus par ce démarchage illicite ont été blanchis par HSBC Private Bank ». HSBC n'a pas répondu aux sollicitations du Monde mardi. En janvier, elle avait contesté son implication dans un système frauduleux : « HSBC réprouve le recours éventuel à l'évasion fiscale », assurait la banque.

Source : lemonde.fr / Par Gérard Davet et Fabrice Lhomme

 

Rappel des faits et des personnalités françaises impliquées (Le Monde, janvier 2014) :

 

 

 

II- La fin du secret bancaire
 

 

Récemment, sous la pression de l’Union européenne et de l’OCDE, qui affichent une volonté de transparence, l’Autriche et le Luxembourg ont accepté d’abandonner le secret bancaire en vigueur dans ces pays depuis des décennies. Tous les pays de l’Union européenne sont maintenant au diapason en la matière. Il existe quelques bonnes raisons à cette abolition — à commencer par l’idée que le secret bancaire puisse permettre au crime organisé de faire disparaître le produit de leurs activités. Pourtant cette tradition de secret est presque aussi ancienne que l’activité bancaire elle-même.

Elle a originellement pour but de garantir la probité du banquier vis-à-vis de ses clients. C’est une pratique qui émane du droit des contrats et qui est devenue au fil des ans une convention admise par tous, comme celle du secret médical. Elle a même été codifiée dans plusieurs pays. Vouloir faire disparaître une telle pratique comporte ainsi des risques. En se concentrant uniquement sur les aspects socialement négatifs du secret bancaire, le législateur néglige ses atouts. La question fondamentale est donc de savoir si les coûts du maintien du secret sont plus importants que les gains, justifiant ainsi l’abolition.

Beaucoup d’arrangements contractuels trouvent leur source dans la défense des droits de propriété. Ainsi le trust est une entité de la Common Law qui a évolué au Moyen Âge et qui avait pour fonction de sauvegarder les droits des propriétaires fonciers partis aux Croisades. Aujourd’hui, la Commission européenne veut renforcer son arsenal juridique contre l’usage des trusts qui, par nature, protègent leurs bénéficiaires, mais peuvent aussi les dissimuler. Une entité qui, à l’origine, a renforcé le droit de propriété, est maintenant vue comme un frein à la transparence. Pourtant les instruments contractuels reposant sur l’anonymat, comme les actions au porteur, remplissent des fonctions essentielles.

Le secret bancaire est ainsi vilipendé alors que son rôle est d’établir la confiance entre les individus, les entrepreneurs, leurs entreprises et les établissements bancaires. Les institutions, y compris la propriété et le droit des contrats, ne peuvent pas être respectées s’il n’y a pas un fondement de confiance dans la société. Cette confiance ne se décrète pas, elle émerge de l’interaction des individus et de la multitude d’arrangements produits — dont certains reposent sur l’anonymat. Le secret bancaire n’est donc qu’un des rouages qui créent cette confiance, mais il est souvent essentiel.

Les bénéfices du secret bancaire pour la société sont indéniables. Pourtant l’activité criminelle en profite aussi. À cet effet, les gouvernements coopèrent régulièrement dans le cadre d’affaires de blanchiment d’argent. La convention fiscale de l’OCDE a été ratifiée par la plupart des pays occidentaux en 2009, elle permet un meilleur échange de données. Doit-on alors forcément abolir le secret bancaire pour lutter contre ces crimes ? Pas nécessairement.

Une autre explication peut en fait justifier de la volonté de faire disparaître le secret bancaire. Les politiques contre celui-ci remontent aux années 1990 à l’époque où les pays occidentaux commencent à s’intéresser aux paradis fiscaux. Tant que les déficits budgétaires étaient faibles, personne ne se souciait trop de l’atrophie relative des bases fiscales. Mais depuis que les déficits se sont accrus, les États s’intéressent de près à tout « manque à gagner ». La disparition du secret bancaire est donc sans doute l’une des conséquences de la lutte internationale contre l’évasion fiscale.

Certains contribuables peu scrupuleux — le plus souvent des multinationales — utilisent les règles de taxation à leur avantage. Il est vrai que l’optimisation fiscale peut participer à la dégradation budgétaire. Mais ces contribuables jouent aussi un autre rôle qui ne peut être négligé. L’optimisation fiscale ainsi que l’évasion sont une sorte de marché noir, et l’on sait que tout marché noir émerge pour satisfaire une demande qui ne peut s’exprimer autrement. Les marchés noirs abondent dans les sociétés hyper-réglementées ou très corrompues (et les deux vont généralement de pair). On peut ainsi analyser l’évitement et l’évasion comme étant une réaction à une imposition trop lourde en rapport avec les bénéfices. Lorsque le taux de l’impôt sur les sociétés n’est que de 12,5% comme en Irlande par exemple, les incitations à l’évasion sont bien plus faibles que lorsqu’il est de 33%.

Les États peuvent réagir de deux façons. Ils peuvent d’une part écouter le signal que représente l’évasion et agir comme tout producteur en concurrence, c’est à dire, en améliorant leur produit (en l’occurrence en baissant les taux et en offrant un environnement plus propice aux affaires). Ils peuvent aussi décider que toute concurrence doit être abolie en se cartellisant pour limiter la possibilité que tout État propose des conditions plus attirantes. C’est cette seconde voie qui a été suivie depuis les années 1990. Et l’abolition du secret bancaire est une pièce importante de cette stratégie, au même titre que l’harmonisation fiscale européenne (qui a, jusqu’à présent, échoué) ou l’exit tax (qui a récemment augmenté).

Il est justifiable que les État luttent contre les mauvais payeurs. Cependant, la stratégie d’abolition du secret bancaire dans le but de réduire la concurrence fiscale est dangereuse. Cette concurrence est un ultime rempart contre la mauvaise gestion des dépenses publiques. Elle discipline les États en les obligeant à mieux écouter les citoyens qui demandent de meilleurs services à moindre coût.

De plus, l’abolition du secret bancaire procède du rationalisme constructiviste qui ne tient pas compte de l’évolution spontanée des règles sociales et de leur utilité. Le secret bancaire est un aspect du respect de la vie privée (article 8 de la Convention Européenne des droits de l’homme), c’est une arme contre l’arbitraire étatique, et une aide à la résistance à l’oppression (article 2 du préambule de la Constitution de 1958).

Avec l’abolition du secret bancaire et la mise en place de l’échange automatique d’informations, les États vont accroitre leur pouvoir de contrôle sur les individus et les entreprises. Certains, comme le président François Hollande, s’en réjouissent. Il y aurait en effet de quoi se réjouir si les États étaient parfaitement bienveillants et omniscients. Mais ce n’est pas le cas.

Comme l’expliquent Barry Weingast et Douglass North, un État qui a le pouvoir de faire respecter le droit a aussi le pouvoir de revenir sur ses promesses. La question fondamentale de l’économie politique constitutionnelle, comme la voyait James Buchanan, est celle de savoir comment attacher les mains du législateur avant qu’il ne soit tenté d’exproprier la richesse créée. L’érosion lente mais continue des barrières à la prédation publique est une pente glissante périlleuse. La fin du secret bancaire est un pas de plus dans cette direction.

par Frédéric Sautet /

Frédéric Sautet est économiste, consultant et auteur. Il est professeur associé à l’Université Catholique de Washington.

      

 

 

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