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Cerveaux sans frontières

Publié par medisma sur 27 Février 2016, 19:27pm

Étudiants étrangers
Cerveaux sans frontières

L'Australie et le Canada cherchent à attirer davantage d'étudiants étrangers, l'Amérique et la Grande-Bretagne à en accueillir moins. Ces dernières pourraient y perdre au jeu.

Montana Hirschgowitz se souvient exactement du moment où elle a décidé qu’elle chercherait une université à l’étranger : un jour, alors qu’elle avait dix ans, des voleurs armés ont fait irruption chez elle à Johannesburg et ont terrorisé toute la famille.

Quang Nguyen ne lie pour sa part sa décision à aucun moment particulier : il ne voulait tout simplement pas passer la plus grande partie de ses heures de cours à étudier l’idéologie communiste, puisque c’est ainsi dans son Vietnam natal.

Jehanna Aghzadi, au Maroc, a depuis l’enfance fréquenté des écoles américaines : elle souhaitait poursuivre ses études en anglais.

Joy Lin cherchait une meilleure formation que celles disponibles en Chine, dans un campus avec plus d’activités sociales que chez elle, et une possibilité de se constituer une première expérience de travail à l’étranger après son diplôme.

Les quatre étudiants ont atterri à l’université de Miami, en Floride, pour des raisons aussi variées que celles qui les ont poussés à quitter leur pays : un climat clément, la bonne réputation de la filière recherchée et, pour l’un d’entre eux, une bourse. Mais au-delà de ces cas particuliers, ils s’insèrent dans une tendance de fond. Les étudiants qui étudient hors de leur pays natal sont toujours plus nombreux. Les étrangers représentent maintenant une proportion conséquence des étudiants dans certains pays et filières : un quart de la population étudiante en Australie par exemple, et environ un million de personnes sur les campus américains.

“On compte 4,5 millions d’étudiants étrangers dans le monde, soit deux millions de plus qu’en 2000. Le chiffre devrait atteindre jusqu’à 7-8 millions d’ici 2025”

On compte 4,5 millions d’étudiants étrangers dans le monde, soit deux millions de plus qu’en 2000. Le chiffre devrait atteindre jusqu’à 7-8 millions d’ici 2025, poussé par la croissance démographique et celle des revenus dans les pays en développement, où l’offre locale est médiocre. Certains pays qui n’ont pas une tradition d’accueil d’étudiants étrangers tentent de rafler des parts de marché. L’objectif du Japon est d’atteindre 300 000 étudiants étrangers d’ici à 2020, 60 % de plus qu’aujourd’hui ; quant à la Malaisie, elle souhaite presque doubler les chiffres, à 250 000 d’ici à 2025.

Le nombre d’étudiants étrangers a décollé dans les années 80, quand plusieurs pays riches ont commencé à offrir des bourses dans le cadre de leurs programmes de coopération. Des revenus en hausse dans les pays plus pauvres sont une autre explication, financière. Les universités des pays riches se voient souvent dicter par leur gouvernement le nombre d’étudiants locaux qu’elles peuvent inscrire et le montant des frais de scolarité à appliquer. Les étrangers, à qui elles peuvent faire payer plus, leur permettent de gonfler leur budget et de subventionner leurs étudiants nationaux. Mais tous les pays qui ont la chance d’accueillir un nombre significatif d’étudiants étrangers ne font pas ce qu’il faut pour que le flux se maintienne.

De nos jours, les pays anglophones possèdent la plus grosse part de marché, étant donné que l’apprentissage de l’anglais est plus qu’utile. Mais la France est populaire auprès de certains pays de son ancien empire colonial, et des élèves des écoles de l’Alliance française autour du monde, que le gouvernement français finance. L’Allemagne, qui commence à offrir des filières de second cycle universitaire où les cours sont dispensés en anglais, et qui a aussi supprimé les frais universitaires y compris pour les étrangers, en reçoit également beaucoup.

L’Amérique était en tête en termes absolus en 2014-2015. Ses meilleures universités attirent depuis longtemps les plus brillants cerveaux étrangers, surtout dans les filières scientifiques, et souvent grâce à des bourses généreuses.

Mais au regard de sa taille, ses performances ne sont pas impressionnantes. 5 % seulement de tous les étudiants présents sur ses campus sont étrangers.

L’une des explications est une politique de visas plus stricte imposée après les attentats terroristes de 2001. Une autre est que les étudiants doivent obtenir une autorisation spéciale pour travailler en dehors du campus durant leurs études, et qu’il est difficile de rester et de travailler après l’obtention de leur diplôme.

Les visas de travail à plus long terme sont également difficiles à obtenir. Beaucoup d’étudiants sans fortune vont donc ailleurs pour pouvoir défrayer certains coûts sur place. Par ailleurs, la plupart des institutions universitaires américaines refusent de payer des commissions aux “education agents”, des courtiers qui aident les jeunes, surtout en Asie, à choisir des universités et à s’y inscrire. Selon i-graduate, un cabinet de consultants, les “agents” classent l’Amérique comme le choix le plus prisé, mais ils seront moins susceptibles de recommander des universités américaines, puisqu’ils travaillent à la commission.

Les étudiants choisissent habituellement leur pays cible dans un premier temps, puis choisissent ensuite à quelle université s’inscrire. Ce qui signifie que les stratégies nationales de promotion jouent un rôle important, explique Mark Reid de l’Université de Miami. Mais l’Amérique n’en a aucune : elle laisse le soin aux établissements de faire leur propre promotion à l’étranger. M. Reid est son équipe font des présentations dans les écoles internationales et participent à des salons professionnels dans 65 pays chaque année. La stratégie a payé : la proportion d’élèves étrangers à Miami est trois fois plus importante que la moyenne nationale. Les Latino-américains aiment vivre dans une ville à majorité hispanique. Les étudiants chinois s’y intéressent depuis 2009, quand Miami est entré dans le top 50 du classement des universités américaines publié par US News and World Report.

Enseignement supérieur aux antipodes

L’Australie, elle, considère depuis longtemps les étudiants étrangers – et les frais de scolarité qu’ils versent – comme une priorité nationale. L’éducation est la deuxième ressource à l’export du pays, derrière les produits miniers, avec 18 milliards de dollars australiens (15 milliards de dollars américains) en 2015. Un quart de tous ses étudiants (et presque la moitié pour ses écoles de management) viennent de l’étranger. Dans quelques universités particulièrement actives, les étudiants australiens sont en minorité.

L’attraction de l’Australie a diminué entre 2009 et 2012, en raison d’une monnaie forte, mais aussi à cause d’agressions racistes contre les étudiants indiens à Melbourne et de la faillite de certains établissements privés mal gérés, des facteurs qui ont terni sa réputation à l’étranger. La chasse que le gouvernement a lancée contre les filières de faux visas et les écoles de mauvaise qualité a attiré l’attention sur les grandes disparités de niveau, et augmenté les délais pour l’obtention d’un visa pour l’ensemble des étudiants, même ceux inscrits dans un établissement d’élite. Avec un dollar australien aujourd’hui moins fort et des règles d’obtention des visas plus souples, le nombre d’inscriptions est remonté. On peut tirer deux leçons, dit David Hetherington de Per Capita, un think tank de Sydney. D’abord, les étudiants étrangers ont besoin de réglementations claires sur les visas et de pouvoir travailler durant leurs études. Ensuite, la “marque” nationale compte.

“L’Australie, elle, considère depuis longtemps les étudiants étrangers – et les frais de scolarité qu’ils versent – comme une priorité nationale”

Le Canada, où les universités accueillaient jusqu’à récemment peu d’étudiants étrangers, a appris de l’expérience australienne. Il y a environ dix ans, le gouvernement avait décidé que les universités pouvaient améliorer leurs finances en admettant plus d’étudiants étrangers, qui payent des frais de scolarité plus élevés, et qu’une fois leur diplôme en poche, ces étudiants deviendraient un réservoir intéressant de main-d’œuvre jeune et bien formée. Les lois sur l’immigration ont toujours été assez favorables, explique Paul Brennan, de l’organisme de représentation des universités et instituts de formation du Canada. Mais jusqu’à une date récente, il n’existait pas de voie toute tracée des études à l’emploi, puis à la résidence permanente. Maintenant, si les nouveaux diplômés sont recrutés, ils peuvent automatiquement rester au Canada pendant trois ans au maximum, selon la durée de leurs études. Cette première expérience professionnelle est prise en compte s’ils demandent un permis de séjour permanent.

La collaboration entre les collèges techniques, les universités et le Bureau canadien de l’immigration a fait baisser le taux de refus pour les étudiants indiens, qui sont l’un des marchés phares du Canada. Un quart de tous les étudiants étrangers (et la moitié de ce quart vient d’Inde et de Chine) finit par obtenir un permis de séjour permanent. L’augmentation récente du nombre d’étudiants étrangers s’explique surtout par des cursus courts en collèges et écoles polytechniques, précise M. Brennan. Ces formations sont recherchées par les étudiants indiens qui ont déjà un diplôme mais ne trouvent pas d’emploi, et par les jeunes d’Italie et d’Espagne, deux pays rongés par le chômage. Le nombre d’étudiants indiens qui arrivent pour étudier dans ce type de filière est passé de 1 200 en 2008 à 14 000 l’an dernier.

La Grande-Bretagne, elle aussi, intègre sa politique sur les étudiants étrangers dans sa politique d’immigration. Mais elle a adopté la stratégie inverse. Ses universités attirent beaucoup les étrangers. En tout, 14 % de ses étudiants proviennent d’un pays extra-communautaire et 5 % viennent d’autres pays européens. Les lois européennes leur permettent de s’inscrire sous les mêmes critères que les Britanniques, et de payer le même montant de frais de scolarité. En 2013-2014, les universités anglaises ont encaissé 3,3 milliards de livres sterling (4,2 milliards d’euros) de frais de scolarité, qui ne sont pas plafonnés par le gouvernement, soit 13 % des revenus. La moitié des étudiants à plein-temps en mastères professionnalisants viennent de pays non européens. Une étude du British Council montre que dans certaines filières scientifiques comme l’électronique ou les biosciences, la proportion est de plus de 80 %.

Mais ces dernières années, cette success story est menacée par une promesse populiste faite en 2010 par le parti conservateur, qui était alors dans l’opposition : celle de limiter l’immigration nette à 100 000 personnes par an. Le premier flux d’immigration, celui du regroupement familial en provenance des anciennes colonies britanniques, ne peut pas être régulé par le gouvernement, pas plus que la libre circulation à l’intérieur de l’Union européenne. Les étudiants non européens sont donc la principale exception. Quand ils étaient au pouvoir, les conservateurs ont tenté de les garder au large en restreignant les visas étudiant ainsi que le droit de travailler à mi-temps durant les études. Il est aussi beaucoup plus difficile de rester après l’obtention du diplôme.

“Une fois leur diplôme en poche, ces étudiants deviendraient un réservoir intéressant de main-d’œuvre jeune et bien formée”

Le résultat est visible dans les chiffres. En 2014-2015, le nombre de nouveaux étudiants de pays non européens a diminué de 3 %, alors que partout ailleurs dans le monde, les étudiants étrangers ont fortement augmenté. Les trois concurrents anglophones de la Grande-Bretagne ont tous connu de belles croissances. Les étudiants chinois, qui souvent vont à l’étranger plus pour éviter le gaokao (le diabolique système chinois d’examen d’entrée à l’université) que pour gagner de l’argent dans un pays plus riche ou pour émigrer, viennent encore en Grande-Bretagne. Mais les inscriptions d’Indiens et de Pakistanais ont diminué de moitié : en général, ces étudiants ont besoin de travailler durant les études ainsi que pendant une année ou deux après le diplôme, pour rembourser les frais.

La Grande-Bretagne est dangereusement exposée à un recul de la demande en Chine, avertit Will Archer de i-graduate. Il note également que les courtiers en études à l’étranger considèrent moins la Grande-Bretagne comme une destination séduisante, alors même que les étudiants chinois sont toujours plus nombreux à avoir une haute opinion de leur formation au Royaume-Uni, à se déclarer satisfait de l’expérience et prêts à recommander ce pays, plus que tout autre, à d’autres étudiants.

Les diplômes transnationaux

Dans des pays qui ont longtemps envoyé leurs étudiants à l’étranger, la qualité de la formation s’améliore. Des plaques tournantes d’Asie, comme Singapour et Hong Kong, sont plus recherchées : parmi les Asiatiques qui étudient à l’étranger, la proportion de ceux qui le font dans un autre pays asiatique est passée de 36 % en 1999 à 42 % en 2007. Michael Peak, du British Council, souligne que le nombre d’étudiants qui optent pour des études “transnationales” plutôt qu’à l’étranger augmente : ils mélangent et assortissent les offres locales et à l’étranger, en commençant par exemple un cursus chez eux et en passant uniquement la dernière année du cursus à l’étranger.

La tendance est surtout visible dans les formations des managers, où l’enjeu est moins de travailler dans un pays riche que d’acquérir une expérience à l’international, estime Andrew Crisp, consultant spécialiste en marketing de l’éducation. Un nombre toujours plus fourni de MBA et d’Executive courses sont maintenant proposés via des partenariats ou des regroupements d’universités. On attend des étudiants qu’ils passent du temps sur différents campus. L’enseignement à distance, lui aussi, pourrait faire diminuer la demande d’onéreuses formations à l’étranger ; et s’il ne les remplace pas, il pourrait permettre aux élèves de suivre une partie des cours d’une université étrangère à moindre coût depuis chez eux.

“L’enseignement à distance, lui aussi, pourrait faire diminuer la demande d’onéreuses formations à l’étranger ”

Les pays anglophones ont énormément bénéficié des étudiants étrangers. Ces étudiants ont financé la scolarité des étudiants locaux, ont maintenu en vie les filières des sciences dures et ont été des ambassadeurs informels du pays d’accueil en rentrant chez eux. Ils ont aussi soulagé des pénuries de compétences quand ils sont restés. Certains pays ont saisi cette opportunité. D’autres l’ont prise pour argent comptant. Tant pis pour eux.

 

The Economist

© 2016 The Economist Newspaper Limited. All rights reserved. Source The Economist, traduction Le nouvel Economiste, publié sous licence. L’article en version originale : www.economist.com.

Publié le 26/02/2016

Source : lenouveleconomiste.fr/

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