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« Cabinet noir » : les mystères de Paris

Publié par medisma sur 8 Août 2017, 17:44pm

« Cabinet noir » : les mystères de Paris

 

 « Le seul mystère, c’est qu’il y ait des gens pour penser au mystère » (Fernando Pessoa). Or, le mystère s’épaissit lorsqu’il s’agit de tout ce qui touche à la police. Il devient brouillard lorsque la police fricote avec la politique. Que dire de la morale dont on sait depuis Alain que « La morale commence là où la police s’arrête » ? Les médias font le buzz avec certaines déclarations de François Fillon sur l’existence d’un « cabinet noir » à l’Élysée qu’aurait révélé un ouvrage de trois journalistes du Canard enchaîné1 et sur l’utilisation qu’il en a faite par la suite2.

Il est vrai que les auteurs n’en sont pas à leur coup d’essai dans la mesure où ils avaient dressé, en 2012, le portrait de l’espion du président de la République Nicolas Sarkozy sous les traits de Bernard Squarcini, l’ancien directeur central du renseignement intérieur (DCRI)3.

C’est peu dire que nos folliculaires ont leurs entrées place Beauvau, à la préfecture de police de Paris et dans la « maison Poulaga » (la police prise au sens large du terme). Grâce à eux, nous sommes conviés à un voyage initiatique dans les arcanes du pouvoir, officiel et occulte, où se font et défont les réputations. Nous assistons aux batailles de pouvoir, aux combats entre hommes et femmes pour l’emporter et, surtout, aux compromissions de tous ordres pour durer le plus longtemps à son poste tout en éliminant ses concurrents avec des méthodes peu orthodoxes.

Après avoir dressé le bilan de quelques retours d’expérience d’une pratique constante, il conviendra d’examiner quelques exemples concrets tirés de la pratique « hollandaise ». Il ne nous restera plus enfin qu’à explorer le monde plus ou moins connu des réseaux occultes qui sont si importants dans notre pays.

DE QUELQUES RETOURS D’EXPÉRIENCE D’UNE PRATIQUE CONSTANTE

Pour celui qui porte un regard distancié et objectif sur les dernières décennies, un double constat s’impose à tout un chacun : un constat global (un État dans l’État) et un constat spécifique (un État dans tous ses états).

Constat global : un État dans l’État

Pour qui ne le saurait pas, et en règle générale, le ministère de l’Intérieur, ministère régalien est considéré comme un État dans l’État. On y traite de matières sensibles, au premier rang desquelles la question de la sécurité intérieure. De manière plus spécifique, chaque changement de pouvoir politique charrie en France son lot d’évictions, d’éliminations, d’épuration des équipes anciennes de toute la galaxie ministère de l’Intérieur accompagné de son lot de recasages, de promotions des amis, copains et autres intrigants qui survivent à tous les régimes. On l’aura compris, avoir barre sur l’appareil policier confère un avantage non négligeable au nouveau venu, comme le soulignent avec pertinence nos trois journalistes. À titre d’exemple, le président de la République, Nicolas Sarkozy a amplement profité de ses deux passages place Beauvau en qualité de ministre de l’Intérieur durant son quinquennat (2007-2012). Il a su y cultiver les amitiés particulières, en termes plus élégants et voltairiens, il a su cultiver son jardin à la française. À tel point qu’il estime avoir verrouillé la boutique police. Pour en revenir au quinquennat de François Hollande, nos enquêteurs parviennent à la conclusion générale suivante : « Enfin, tout comme la droite, la gauche a été dans l’impossibilité de réconcilier la police et la justice, l’ordre et la loi, la matraque et le code pénal » (p. 13). Et ce malgré les promesses de l’avènement d’une « République exemplaire », indépendante et neutre !

Constat spécifique : un État dans tous ses états

À y regarder de plus près, et quels que soient les régimes qui se succèdent, nous sommes loin des déclarations lénifiantes sur la « patrie des droits de l’Homme », sur l’état de droit et la démocratie que la France souhaite exporter dans le monde entier. Nous sommes plus proches de la République des coups tordus, des crocs en jambe, des coupe-jarrets, des Pieds Nickelés, des affairistes de tout poil prêts à tout pour défendre leur intérêt personnel au détriment de l’intérêt général. Une fois de plus, tout change, pour que rien ne change semble être la règle d’airain de tout ce qui touche à la police, la basse police à la Joseph Fouché. La France ne semble pas prête d’échapper à ces pratiques venues d’un autre temps. Les mauvaises habitudes ont la vie dure. C’est le constat auquel sont parvenus nos trois journalistes après plusieurs années d’enquêtes minutieuses, d’entretiens officiels ou « off ». Après avoir éliminé les fonctionnaires trop marqués de l’empreinte sarkozyste (« la désarkozisation »), le nouveau président de la République, François Hollande va devoir faire avec les moyens du bord en tendant la main aux chiraquiens, ennemis jurés du président sortant. Ceci conduit immanquablement à ce que le retour aux affaires de ces chiraquiens nourrisse le soupçon sarkozyste de l’existence d’un « cabinet noir ». Ce à quoi les trois journalistes du palmipède répondent par la formule normande suivante : « Il n’est pas possible d’en apporter la preuve formelle. Comme il n’est pas possible de prouver le contraire ! Mais l’addition d’indices troubles et de témoignages étonnants interroge » (p. 24).

Ces constats sont corroborés par la pratique suivie au cours du quinquennat écoulé de François Hollande (2012-2017) à travers de multiples exemples concrets et d’intéressantes clés de lecture de la réalité.

DE QUELQUES EXEMPLES CONCRETS TIRÉS DE LA PRATIQUE HOLLANDAISE

Est-ce une surprise que la conclusion à laquelle nos trois enquêteurs parviennent au terme de leur étude de terrain ? Le constat global s’organise autour de deux réalités bien connues des sociologues : la première tient au poids des institutions et la seconde tient au poids des hommes.

Une première réalité : le poids des institutions

C’est bien connu, les hommes politiques passent, les institutions restent et c’est un bien. Elles participent ainsi à ce que l’on a coutume de nommer « continuité de l’État ». Mais revers de la médaille, elles ont la mémoire longue au plus mauvais sens du terme. Nos trois journalistes nous font découvrir, côté coulisses, des institutions puissantes sur la place parisienne : la DCRI (« La Maison des secrets ») qui emploie « au noir » quelques pirates informatiques pour espionner en toute illégalité votre ordinateur ou votre smartphone ; la DGSE, qui à l’occasion, prête main-forte à l’exécutif pour quelques missions scabreuses sur le territoire national alors que son champ d’action naturel est à l’international ; la Préfecture de police de Paris plus connue sous son acronyme de PP, véritable état dans l’état à laquelle personne n’a jamais voulu s’attaquer en dépit de ses pouvoirs exorbitants du droit commun ; l’IGPN pour Inspection générale de la police nationale plus connue sous son sobriquet de « bœufs carottes » (« baptisés ainsi pour leur propension à cuisiner longtemps, à petit feu, leurs clients », p. 91) dont la directrice est une forte femme qui classe (les affaires) ou qui casse (les fonctionnaires) et qui a « longtemps traîné la réputation d’être le bras armé du pouvoir pour couper des têtes dans la police » (p. 99) ; la machine préfectorale où les petits meurtres entre amis sont légions surtout après les alternances ; la gendarmerie qui fait un « happy come back » tant dans le domaine du renseignement que dans la protection rapprochée des hautes personnalités… Mais, tout le monde le sait les institutions ne sont rien sans les hommes et les femmes qui lui les composent et qui les animent !

Une seconde réalité : le poids des hommes et des femmes

 

Alain Bauer, professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers

C’est là que l’ouvrage des trois journalistes devient plus intéressant encore quand il met des noms sur des affaires et des pratiques peu orthodoxes lorsqu’on touche au service public. La galerie des portraits et de caractères dignes de La Bruyère sonne souvent juste. Nous évoluons ici entre raison et sentiments. Mention spéciale revient à l’incontournable, l’inoxydable, le « discret et efficace ouvreur de portes », Alain Bauer (AB) qui a droit à un chapitre entier intitulé : « Le Raspoutine de l’Intérieur » (chapitre 3, pp. 55 à 66). L’homme est omniprésent, à droite et à gauche, en France et à l’étranger, dans l’officiel et dans l’occulte, sur le devant de la scène et dans la coulisse. Pêle-mêle, nous retrouvons des figures plus ou moins connues du grand public : les préfets Michel Gaudin, Robert Boucault, Alain Gardère, Bernard Squarcini, Patrice Bergougnoux, sans oublier Claude Guéant, les figures du 36 quai des Orfèvres (chapitre intitulé « Au 36e dessous »), le procureur Robert Gelli, les généraux de gendarmerie, les sulfureux Serge Kasparian, Michel Tomi au carrefour de la « Pasqua connection » et de la Françafrique … Le dernier chapitre est intitulé : « Bleu Marine ». Nous n’épiloguerons pas davantage sur ce sujet sensible de nos jours. Le moins que l’on puisse dire est que le tableau dressé est impressionnant, en fin de compte.

 

Bernard Bajolet

Les temps changent, les espions du président aussi. L’homme fort du quinquennat Hollande serait, selon les dires de nos journalistes, Bernard Bajolet, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE), proche du président de la République (chapitre 12 intitulé : « L’autre espion du président », pp. 211-224). Manifestement, cet ancien ambassadeur omniprésent tout en étant discret, ayant initié François Hollande aux gaités de la diplomatie à l’ambassade de France à Alger, particulièrement à son aise dans le monde du renseignement, ne répugne pas à quelques mauvaises besognes. Ses relations avec les « cousins » de la DGSI et son ministère de tutelle (la Défense) ne sont pas au beau fixe. Il marginalise le coordinateur national pour le renseignement, poste qu’il a été le premier à l’occuper. Il n’hésite pas à convier les médias boulevard Mortier et ailleurs pour glorifier le travail de sa direction générale. Décidemment, Bernard Bajolet gagne à se faire connaître…

Si tout ce beau monde et ce demi-monde se fréquente très normalement dans les allées officielles du pouvoir et dans les Palais de la République, il se connait mieux par l’appartenance à quelques réseaux plus ou moins occultes.

DE QUELQUES EXEMPLES DE RÉSEAUX D’INFLUENCE OCCULTES

Force est de constater que la galaxie du ministère de l’Intérieur évolue à l’intersection de nombreux réseaux. Le premier d’entre eux, et cela n’est pas un mystère, concerne la franc-maçonnerie auquel il faut en ajouter bien d’autres qui s’entremêlent.

La première dimension : « le trousseau de la clé trois points »4

Réalité incontournable qui prête parfois à sourire, telle est la franc-maçonnerie dans notre pays, et surtout, au sein du ministère de l’Intérieur. On ne peut comprendre les carrières, les promotions, les affectations, les décorations de certains hauts fonctionnaires de la Place Beauvau si on néglige la dimension « fraternelle » de la question. Elle est utile pour la faire savoir (« Il a aussi entretenue à coups de légende, comme celle qui fait de lui une éminence du Grand Orient de France », p. 93). Elle n’est pas étrangère aussi à la gendarmerie nationale (« Le poids des frères dans la gendarmerie est plus discret que dans la police, mais tout aussi important… Bien sûr, si un frère est en danger, les autres volent à son secours », p. 71). Au ministère de l’Intérieur, elle est omniprésente à tous les étages (« X… s’est longtemps cru intouchable, sûr de sa baraka, de la puissance de ses réseaux francs-maçons et politiques (p. 105)… La liste n’est bien évidemment pas exhaustive. Pour ce qui est des intéressés, nous renvoyons le lecteur aux multiples descriptions des trois journalistes du Canard enchaîné que nous analysons iciDieu y retrouvera les siens, comme dirait l’autre ! Mais le monde des réseaux ne peut se limiter à la seule franc-maçonnerie.

Les autres dimensions : le monde des réseaux

En France, nous sommes les champions du réseautage qui vient, parfois, se substituer au système de la méritocratie à la française. Au premier rang desquels se situe l’énarchie. On a pu le mesurer avec la promotion Voltaire durant le quinquennat de François Hollande. Elle constitue un sésame indispensable pour prendre l’autoroute et abandonner les nationales et autres routes secondaires à tous ceux qui n’ont pas eu la chance de passer par cette école. Mais, elle n’est pas exclusive. Fréquenter les « dîners du Siècle » vous permet également d’avancer plus rapidement que les copains au jeu de l’oie de la carrière administrative. Dans les différentes descriptions que nous propose cet ouvrage, le monde sulfureux de la Françafrique n’est jamais bien loin. Il aide à classer les affaires pour cause de raison d’État, voire de déraison d’État à l’occasion. Les financements illégaux de partis politiques apparaissent à l’occasion. Bien évidemment, le milieu, au sens policier du terme, n’est pas absent du monde de la police, souvent pour le meilleur, parfois pour le pire. Tous ces réseaux se recoupent parfois, s’opposent souvent mais font en règle générale assez bon ménage. Un renvoi d’ascenseur peut toujours être utile, surtout lorsque le vent vient à tourner.

« Si l’on pouvait répandre le bon sens aussi vite et aussi bien que les sornettes, quelle grande réforme politique ce serait ! » (Winston Churchill). À lire attentivement Bienvenue Place Beauvau, les réformes ne manquent pas tant les dérives sont nombreuses et anciennes dans le monde secret de l’Intérieur et de la police. Il est temps que les responsables politiques cessent de se voiler la face. Annoncées, la main sur le cœur, par les candidats à l’élection présidentielle comme indispensables pour renforcer l’état de droit et la démocratie dans notre pays, les réformes sont rapidement remisées au magasin des accessoires par le président élu. Les vieilles méthodes ont parfois du bon. Pourquoi les proscrire ? Pourquoi s’en priver pour se maintenir au pouvoir ? « Les ‘actions secrètes’ regroupées parfois sous le nom de ‘cabinet noir’ existent bel et bien au sommet de l’État »5.

« S’améliorer, c’est changer ; être parfait, c’est changer souvent » (Winston Churchill). Nos dirigeants gagneraient à méditer cette maxime. Nous ne pouvons que conseiller la lecture de cet ouvrage dans son intégralité, et non en se limitant aux seules bonnes feuilles, comme le font certains. Elle permettra de constater que l’incroyable devient réalité. Elle permettra de constater que notre pays, la continuité l’emporte souvent sur la rupture. Elle permettra aussi de se faire une idée relativement précise du concept de « cabinet noir »6 si tant est qu’il en existe un mais aussi et surtout d’observer la nouvelle version des mystères de Paris.

Guillaume Berlat

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1 Olivia Recasens/Didier Hassoux/Christophe Labbé, Bienvenue place Beauvau. Police : les secrets inavouables d’un quinquennat, Robert Laffont, 2017.
2 Louise Fessard, Comment Fillon a utilisé les failles du livre « Bienvenue Place Beauvau ?, www.mediapart.fr , 4 avril 2017.
3 Olivia Recasens/Didier Hassoux/Christophe Labbé, L’espion du Président : au cœur de la police politique de Sarkozy, Robert Laffont, 2012.
4 Roger Dachez, Histoire de la franc-maçonnerie française, Que sais-je ?, PUF, 2015.
5 Jacques Attali, Le jour où, Paris Match, 1er– 7 juin 2017, p. 122.
6 Paul-Henri du Limbert, L’ombre d’un doute, Le Figaro, 28 mars 2017, p. 1.

source: http://prochetmoyen-orient.ch/cabinet-noir-les-mysteres-de-paris/

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