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Il y a un siècle, le Maroc eut deux Sultans

Publié par medisma sur 6 Avril 2009, 23:49pm

Catégories : #lintegral

Moulay Hafid, proclamé Sultan à Marrakech en octobre 1907 grâce à Madani Glaoui, Pacha de Marrakech, qui lui apporta toute l’aide matérielle et financière nécessaire et qui lui organisa son gouvernement, appela à la guerre sainte et à la destitution du Sultan Abdelaziz. Il rencontrait en outre, une immense popularité au sein de la population. Les prières de vendredi se disaient désormais au sein de mosquées en son nom et ses sorties officielles se déroulaient sous forme de cérémonies grandioses : monté sur un cheval richement harnaché, habillé en faradjia et djallaba en mousseline immaculées, entouré de ses vizirs et de ses serviteurs, un parasol imposant déployé au-dessus de sa tête. Et à partir de cet instant, le Maroc eut deux Sultans : Le Sultan du Nord, Abdelaziz et le Sultan du Sud, Hafid.

Si Madani Glaoui, en proclamant Moulay Hafid, visait à assouvir une vengeance qu’il ruminait depuis une longue date contre Hadj Omar Tazi, frère du ministre des finances et favori d’Abdelaziz.

En effet, à la demande express du jeune Sultan, Si Madani leva une importante mehalla contre le rebelle Bou Hmara. Il fut gravement blessé lors des combats et se vit contraint de se réfugier à Fès. Humilié par la famille Tazi, extrêmement jalouse de ce notable berbère, Le Glaoui jura vengeance et regagna Marrakech.

Les frères Tharaud les ont d’ailleurs dépeints éloquemment, usant de paraboles troublantes :

« Il suffit d’avoir vu un de ces Tazi cinq minutes- Omar Tazi, par exemple, confident d’Abdelaziz et organisateur de ses plaisirs- pour se rendre compte aussitôt qu’un Glaoui et un Tazi ne pouvaient pas s’entendre. Omar, gras et blanc de peau, le poil roux, les yeux petits et plissés, la démarche dandinante, un ventre plein d’embonpoint, laisse éclater dans toute sa personne un sentiment rabelaisien et tout sensuel de la vie. Le Glaoui, sombre, ascétique, les yeux brillants, magnifiques de passion, aristocrate dans tous ses gestes et dans sa voix tout ensemble autoritaire et modérée, fait penser à quelque portrait de Philippe de Champaigne ou plutôt du Gréco par l’austérité des traits, la couleur terreuse de la peau, l’admirable éclat du regard, la longue et maigre dignité de tout le corps. Dans ces deux personnages s’opposent deux conceptions de l’existence, l’une assez plate et avisée, l’autre très certainement elle aussi remplie d’égoïsme et d’ambition personnelle, mais ardente, follement passionnée et qui semblait, en apparence du moins, écarter toutes les bassesses et les mesquineries de la vie ».

Moulay Hafid affectait un nationalisme intransigeant. Il avait gagné la majorité des notables du Sud et bloqué à son profit les recettes des douanes de Mazagan et d’Azemmour, les deux seuls ports qui, dés le premier jour, se donnèrent à lui.

La France se trouvait dans une position ambiguë mais pour elle, il ne pouvait y avoir qu’un souverain légitime, Abdelaziz auprès duquel était accréditée sa représentation diplomatique et qui avait signé des traités et accords engageant son gouvernement.

Mais Moulay Hafid semblait décidé à se faire proclamer officiellement à Fés, ce qui consacrerait définitivement sa qualité de Sultan sur l’ensemble du territoire national. Et c’est en ce sens qu’un notable respecté et Alem très populaire de la capitale, le Chérif Si Kettani, organisa une consultation juridique auprès d’autres Oulamas de l’Université Karaouiyine. Cette consultation déboucha sur une Fatwa, sentence religieuse, annonçant qu’Abdelaziz était traître à sa patrie, et qu’il avait conclu avec les infidèles des emprunts bancaires portant intérêt et ce, au mépris de l’interdiction religieuse. De ce fait, il devait être destitué. Une importante manifestation populaire accompagna la proclamation de la sentence, apportant soutien et reconnaissance à Moulay Hafid.

Abdelaziz, inquiet, quitta précipitamment Fés le 12 septembre 1907 pour se rendre à Rabat. Il y reçu M. Regnault qui lui remit ses lettres de créance. L’ambassadeur de la France était accompagné du général Lyautey et de l’amiral Philibert, commandant la division navale devant Casablanca. L’audience eut lieu dans une résidence du Sultan, le palais de Koubibat, située au bord de la mer.

Moulay Abdelaziz reçut l’ambassade assis sur un canapé très usagé. Autour de lui, ses vizirs, tous uniformément vêtus de djellebas blanches. Après le protocole de la cour, les prosternations habituelles, le rangement hiérarchique des membres de la délégation, l’ambassadeur de France remet ses lettres de créance, enfermées dans une gaine de satin bleu. Il lit son discours dont le Sultan a eu communication la veille et en a préparé la réponse. Il la murmure tout bas, phrase par phrase, à l’oreille du vizir Benslimane, qui la répète à l’interprète Si Kaddour Ben Ghabrit. Celui-ci la traduit. Monsieur Regnault offre ensuite la grande croix de la légion d’honneur enfermée dans un écrin en cuir que le Sultan brûle visiblement d’ouvrir. La délégation se retire à reculons, en se prosternant trois fois. La séance a duré à peine vingt minutes.

Avant le départ de l’ambassade, une convention fut signée à propos de l’organisation de la police dans les principaux ports et aux frontières marocco-algériennes, conformément à l’accord d’Algésiras.

Lors du voyage de retour, Monsieur Regnault confiait à Lyautey : « A mon avis, il n’ y a pour nous en ce moment qu’une carte à jouer, celle d’Abdelaziz. Le Sultan est engagé avec nous par des traités solennels dont un gouvernement avisé et résolu pourrait tirer tout de même un bénéfice réel…. Sans compter tous les avantages nouveaux que peut offrir l’actuelle situation critique du Makhzen…. Ah ! si on nous laissait faire ; à nous d’eux, nous mettrions le Maroc dans la poche de la France » !

 Tout le destin français inavoué tient donc dans cette dernière phrase formulée de vive voix par le représentant de l’Hexagone.

Les événements ont pris cependant une autre tournure. Au début de janvier 1908, Moulay Hafid quitta subitement Marrakech pour se rendre à Mechra Chair sur les bords de l’Oum Rbia où, il y fit un long séjour. Et le 16 mai il entra à Meknés puis le 7 juin, il fit une entrée solennelle à Fés accompagné de Si Madani Glaoui et de quarante mille cavaliers.

Le 12 juillet, le Sultan Abdelaziz quitta Rabat avec sa mehalla et se dirigea vers la capitale du Sud, renforçant en cours de route sa harka, par des contingents de tribus se trouvant sur son parcours. Il était accompagné d’instructeurs français mis à sa disposition par les autorités d’occupation. Il décida, avant de continuer sa marche, d’attaquer la tribu insoumise de Tamelt, située à quelques kilomètres au Sud-Ouest. Au premier contact avec les rebelles que dirigeait Si Madani Glaoui, la mehalla chérifienne lâcha pied et se débandada dans toutes les directions. C’est le sauve-qui-peut des troupes sultaniennes.

Abdelaziz battu, fuit à son tour pour se réfugier auprès des troupes françaises, le lendemain à Settat, dans un état d’exténuation extrême et de total dénuement. Son règne avait pris fin : Et coïncidence du sort, dans presque la même région où il a débuté, lors de la mort subite de son père . Quel désastre pour ce jeune Sultan….

    « Et que si prés du port, contre toute apparence

       Un orage si prompt  brisât  ‘son’  espérance ».   

   La victoire acquise, Si Madani Glaoui, Grand Vizir, entouré d’une escorte seigneuriale, traversant hameaux, douars et villes, pénétra en grande pompe à Fés et alla directement se loger dans la somptueuse demeure des Tazi qu’il avait confisquée. Sa vengeance est enfin assouvie.

Quant au Sultan déchu, il finit par se rendre à Tanger où il s’installa définitivement au milieu de l’indifférence générale.

Le général D’Amade, en butte à une opposition militaire farouche des habitants de la Chaouia, fut relevé de ses fonctions de chef des armées d’occupation et remplacé par le général Moinier. 

Le 7 décembre 1908, les gouvernements signataires de l’acte d’Algésiras reconnurent le nouveau Sultan après l’ engagement de celui-ci à respecter les termes de l’Acte et l’ensemble des traités signés et acceptés par son prédécesseur.

Medisma

 

 

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