I- Ce reniement dont Manuel Valls est le nom
Manuel Valls sait-il que la France a voté le 6 mai 2012 ? Et qu’elle a voté majoritairement pour que le changement, ce soit
maintenant ? Notamment pour les moins considérés et les plus démunis : les jeunes qui ne seraient plus victimes de contrôles au faciès, les musulmans qui ne seraient plus assimilés au terrorisme,
les Roms qui ne seraient plus stigmatisés, les immigrés dont le vote local serait reconnu. Piétinant allègrement ces promesses du candidat François Hollande sans être rappelé à l’ordre, le
ministre de l’intérieur frappe le nouveau pouvoir d’une marque indélébile : le reniement.
Durant sa campagne électorale, le candidat socialiste n’avait de cesse de répéter qu’il ne promettait que ce qu’il serait capable de tenir. Et que, par conséquent,
ses promesses valaient ferme engagement : ce qu’il promettait, il le ferait. « Ce sont mes engagements. Je les tiendrai » : n’était-ce pas la phrase conclusive de l’introduction par
François Hollande de ses « 60 engagements pour
la France » ? Sauf à être naïf ou aveuglé, on se doutait bien que, s’agissant des enjeux européens ou des questions économiques, la partie serait plus incertaine, tant les
évolutions dépendraient de rapports de force face aux dynamiques adverses.
Mais il y avait le reste, tout le reste, qui ne demande pas d’argent mais du courage : l’imagination et la volonté d’une politique nouvelle capable d’élever le pays au-dessus de lui-même, face
aux défis qui l’assaillent. Certes la précipitation à passer, en une nuit, d’un traité européen à renégocier à un traité inchangé, qu’un addendum aurait seulement réorienté, tout comme le faible
ordre du jour de la session parlementaire estivale, reportant à de lointaines échéances nombre de réformes promises, valaient déjà première alarme.
Le refus d’un vrai débat sur le nouveau traité européen et l’appel caporaliste à la discipline parlementaire valaient aussi première contradiction quand l’on se souvient de l’envolée d’un certain
Jean-Marc Ayrault, orateur du PS à l’Assemblée nationale lors du débat sur
le Traité européen dit de Lisbonne. C’était en janvier 2008, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. L’actuel premier ministre déposait au nom du groupe socialiste une « motion
référendaire » que les tenants du « non » d’aujourd’hui ne manqueront pas de lui rappeler. Il faut « rendre la parole à notre peuple », plaidait-il, ajoutant : « C’est à force
de dissimuler l’Europe, de la rendre incompréhensible qu’on a fini par en détourner notre peuple » (lire ici le discours).
Mais l’on pouvait encore mettre sur le compte de rapports de force européens défavorables, que le terrain soit diplomatique ou financier, ce renoncement flagrant, et les arguments d’opportunité
qui tentent de l’excuser ou de le justifier. Et l’on pouvait espérer que, le nouveau gouvernement ayant enfin pris ses marques, nombre de questions de société, porteuses de l’imaginaire qui anime
une politique et de l’horizon qu’elle propose au peuple, ne seraient pas atteintes par ces reculs, tergiversations et pusillanimités.
Après tout, cette nouvelle majorité n’avait-elle pas cessé, pendant la campagne, de parler de notre jeunesse et d’arpenter nos usines ? De rencontrer cette France dynamique et travailleuse qui
est façonnée par ses migrations, nées de sa longue conversation avec le monde, ses ailleurs et ses lointains ? De découvrir ces ouvriers qui en sont issus et qui font nos routes, construisent nos
immeubles, fabriquent nos produits, créent la richesse de nos entreprises ? De croiser ces jeunes qui animent nos villes, rêvent de faire leur chemin, imaginent la France qu’ils aiment ?
Bref, nous les avions entendus, pendant cette campagne, François Hollande et les siens revendiquer la France telle qu’elle est et telle qu’elle vit. Et promettre qu’ils lui rendraient sa fierté
et sa dignité après les avanies du sarkozysme, la xénophobie revendiquée, l’islamophobie libérée, l’humiliation généralisée. Il faut croire que nous nous trompions. Car c’était compter sans
Manuel Valls, devenu aujourd’hui l’homme fort d’un pouvoir faible.
Quatre engagements, quatre
renoncements
À l’évidence, Manuel Valls
ne se sent aucunement tenu par les engagements sur lesquels a été élu le président de la République qui l’a fait ministre de l’intérieur. Au mépris du vote des électeurs, et donc du mandat qu’il
est supposé mettre en œuvre, ce « premier flic de France » revendiqué – comme si être policier n’était pas un métier, avec des compétences professionnelles, mais une posture, tissée de
vulgate idéologique – impose son propre agenda. Bafouant avec allégresse l’autorité du premier ministre, qu’il se verrait bien remplacer un jour prochain, il poursuit sa route sans jamais être
rappelé à l’ordre par François Hollande, alors même qu’il marche à rebours non seulement des promesses de ce dernier, mais de tous les combats qui, depuis cinq ans, ont rassemblé la gauche face
au pouvoir précédent.
Il y eut d’abord, cet été, les expulsions de Roms, ce feuilleton indigne parce que digne de Nicolas Sarkozy, où se distingua particulièrement la municipalité socialiste d’Evry,
celle de Manuel Valls, dans un mépris affiché pour l’institution judiciaire et pour les associations humanitaires (lire ici l’article de Carine
Fouteau). Le mépris des électeurs avait précédé. Car nous nous souvenons fort bien des réactions de Valls Manuel, à l’été 2010, quand Sarkozy Nicolas lui montrait l’exemple qu’il suit
aujourd’hui : « Ça illustre ce qu'est aujourd'hui le sarkozysme. C'est d'abord du bougisme. On tire sur tout ce qui bouge, il n'y a pas de hiérarchie dans les priorités, il n'y a pas de cap…
On désigne des populations à la vindicte, on crée une immense confusion, une nouvelle fois, le président de la République, son gouvernement et sa majorité jettent les Français les uns contre les
autres, c'est insupportable. (…) Les gens du voyage travaillent pour la plupart et sont des compatriotes. On est en train, une nouvelle fois, de réveiller cette peur qui existe et qui est
ancestrale à l'égard des gens du voyage, c'est tout à fait insupportable » (à réécouter sur RMC ici et à lire aussi sur ce blog du Club de
Mediapart).
Le « bougisme » sarkozy en a de beaux jours devant lui, et Manuel Valls les lui offre à un rythme de plus en plus accéléré. Car il y a eu, depuis, l’exploitation politique de
l’anti-terrorisme à des fins idéologiques dont les musulmans de France sont les premières victimes. Quand, sans violence, quelques dizaines de manifestants se rassemblent à Paris, le week-end
dernier, pour protester contre une vidéo américaine, aussi ridicule que lamentable, qui insulte leur religion, foi ou croyance, le ministre de l’intérieur s’empresse de monter en épingle
l’événement. Non content de faire interpeller la majorité des manifestants, en quelque sorte pour délit d’opinion, sa communication les transforme en illustration du danger « salafiste »
qui menacerait la France afin de déboucher sur l’annonce d’une énième loi anti-terroriste, surajoutée à l’arsenal existant déjà totalement hors du
droit commun. De Sarkozy à Valls, la continuité est ici totale, sur le fond (lire ici
une démonstration du Monde.fr) comme sur la forme (voir là un montage vidéo également
démonstratif).
Puis, tandis que soixante-quinze députés socialistes, de toutes sensibilités, défendaient avec hauteur face aux régressions xénophobes « une conception de la citoyenneté ouverte, sans qu’un
lien entre citoyenneté et nationalité ne soit indispensable » (lire ici
leur appel et la liste des signataires), Manuel Valls affirmait bruyamment son désaccord. Le seul souci, c’est qu’il n’est ministre que par la volonté souveraine d’un peuple qui,
majoritairement, a voté pour François Hollande et ses soixante engagements. Parmi lesquels le cinquantième, dénué d’ambiguïté : « J’accorderai le droit de vote aux élections locales aux
étrangers résidant légalement en France depuis cinq ans ».
Un engagement que le ministre de l’intérieur connaît d’ailleurs fort bien pour l'avoir revendiqué lui-même, haut et fort : « Voilà un combat typiquement désespérant pour un militant de
gauche. Cela fait des années que nous attendons que le droit de vote des étrangers aux élections locales soit reconnu. Tant que le Sénat ne donnera pas son accord, cette modification
constitutionnelle ne sera pas possible. Je crois pourtant que notre société approche de la maturité nécessaire à l’avènement de ce droit. Une majorité se forme pour admettre que le droit de vote
au lieu de dévaloriser l’acte de naturalisation (l’argument traditionnel de la droite) est au contraire un sas vers l’intégration. Le 26 novembre 2002, j’ai déposé avec Jean-Marc Ayrault et
Bernard Roman, une proposition de loi constitutionnelle allant dans ce sens. » C'était le 31 mai 2007 (lire ici et là), au lendemain de l’élection de
Nicolas Sarkozy… Autant dire il y a un siècle.
Enfin, ne s’arrêtant pas en si bon chemin dans sa révision des promesses électorales, le ministre de l’intérieur a décidé de ne rien faire, ou presque, sur une question centrale pour la jeunesse
: la pratique ordinaire des contrôles d’identité, témoignant des discriminations auxquelles se heurtent les jeunes des quartiers populaires ainsi que l’a démontré sans appel une enquête
sociologique de terrain (dévoilée en 2009 sur
Mediapart). C’était le trentième engagement de François Hollande, sans doute plus vague dans sa formulation mais fort explicite sur la situation qu’il dénonçait : « Je lutterai
contre le délit de faciès dans les contrôles d’identité par une procédure respectueuse des citoyens. » Passant outre aux recommandations du premier ministre et aux attentes des militants
socialistes (lire par exemple cette tribune), Manuel Valls a enterré toute réforme véritable de la procédure des contrôles
d’identité, et, par conséquent, tout changement profond de cette culture policière aux conséquences parfois dramatiques, comme ce fut le cas à Clichy-sous-Bois en 2005.
Le
lit de la droite, la ruine de la gauche
M. Valls
qui, au printemps 2011, confiait avoir eu « les larmes aux yeux » devant des images « d’une cruauté insoutenable », celles d’un Dominique Strauss-Kahn menotté par la police à New York (lire et écouter ici), ne semble pas avoir les mêmes émotions pour la jeunesse de France qui, quotidiennement, vit ces situations humiliantes. Ce
n’est évidemment pas manque de sensibilité, mais expression d’un parti pris social, l’ex-candidat potentiel à la présidentielle qu’entendait soutenir Manuel Valls symbolisant la chute d’un
puissant quand les jeunes des quartiers vivent l’ordinaire des opprimés. Faut-il en conclure qu’à l’égalité invoquée comme Sésame par le candidat Hollande succède désormais l’indifférence aux
inégalités ?
Quatre questions donc, et quatre reniements. Et pas des moindres. Car il ne s’agit pas là de débats techniques, mais d’enjeux symboliques où se dessine la frontière
entre une politique de progrès et une politique de réaction, entre gauche véritable et droite foncière, entre chemin d’espérance et politique de la peur. Loin d’être anodins, ces renoncements
épousent l’agenda des forces régressives, celles qui font de l’étranger une menace, de l’immigration un péril, de l’islam un danger, des jeunes de quartiers une racaille. Ils ne disent pas, comme
l’a laissé entendre François Hollande pour les questions sociales et économiques, que le changement, ce serait dans deux ans. Ils affirment, tout au contraire et sans vergogne aucune, que le
changement, ce ne sera ni maintenant ni demain.
« La vérité d’une minorité intellectuelle et politique ne fera pas la politique de sécurité dans ce pays. Je ne laisserai pas faire ça », s’est contenté de lancer Manuel Valls à nos confrères de
Libération après que le quotidien eut souligné ces revirements. Faut-il rappeler au ministre de l’intérieur qu’en 2011, lors du scrutin ouvert des primaires socialistes, il ne
rassembla sur son nom et son programme que 5,63 % des suffrages exprimés, bon dernier des
compétiteurs issus des rangs du PS ? Et qu’à l’inverse, la courte majorité obtenue le 6 mai par François Hollande, sur son nom et son programme, le fut non seulement en raison du rejet de Nicolas
Sarkozy, mais aussi grâce à la dynamique populaire suscitée par des engagements symboliques, sur l’Europe, sur la jeunesse, sur les étrangers, sur les discriminations, sur les inégalités, sur la
finance ?
La France n’a pas voté pour Manuel Valls. Et, souhaitant sortir de l’aventure sarkozyste, elle n’a pas souhaité une réédition de cette marche consulaire, depuis la
place Beauvau, vers le pouvoir suprême d’un ministre de l’intérieur indifférent aux vertus démocratiques – celles des promesses tenues, celle des mandats respectés. Quant à ceux qui, depuis le
sommet de l’Etat peut-être, parient sur une fructueuse division du travail, Manuels Valls occupant l’aile droite d’un pouvoir dont la garde des sceaux Christiane Taubira serait l’aile gauche, ils
s’illusionnent gravement. À l’exception notable de Pierre Joxe (ministre de l’intérieur de 1984 à 1986, puis de
1988 à 1991), toute l’histoire des socialistes au pouvoir fut marquée, non sans désastres pendant la guerre d’Algérie, par ces ministres de l’intérieur saisis du vertige de l’ordre au
prix de l’injustice.
Tous, au final, n’auront fait que le lit de la droite et la ruine de la gauche. Car ce n’est pas à son camp que Manuel Valls donne des gages aujourd’hui, mais bien
au camp adverse, comme l’ont d’ailleurs ressenti instinctivement Serge Dassault et Jean-François Copé. De fait, il en épouse non seulement les refrains idéologiques, mais aussi les hiérarchies sociales et les pratiques culturelles ainsi que
l’illustre son obsession de l’origine –« blackos » et « blancos » lui sont un langage courant –, mettant à distance les nouvelles classes populaires à
raison de leurs apparences, de leurs croyances et de leurs cultures. La suite dira où le conduira ce zèle qui, déjà, l’emporte, et jusqu’à quelle
perdition politique.
Dans l’immédiat, il aura réussi à coller au nouveau pouvoir socialiste la malédiction qui, au delà de ses outrances, fut fatale au quinquennat de Nicolas Sarkozy :
cette évidence qu’à peine élu, il ne respectait pas les promesses sur lesquelles il avait été élu et qu’il faisait même l’exact contraire.
Edwy PLENEL
II- Rappel du texte intégral d’une lettre d’une certaine Martine Aubry à Manuel Valls
A la suite des élections européennes, nous avons défini notre feuille de route, en nous attelant à deux tâches essentielles : la préparation du projet et le rassemblement de la Gauche. Le séminaire de Marcoussis a constitué le coup d'envoi de ce travail collectif. Chacun a reconnu la qualité du débat qui nous a rassemblés. Par ailleurs, après de nombreux contacts avec nos partenaires de la gauche, j'ai écrit à chacun d'entre eux pour engager une nouvelle démarche de rassemblement, fondée sur les idées comme sur la stratégie politique. Force est de constater que ce travail collectif pour moderniser nos idées est contrarié chaque jour par la cacophonie d'expressions isolées -d'ailleurs le plus souvent contradictoires-, et par des initiatives solitaires prenant le contrepied des positions de notre Parti. S'engager dans un Parti, c'est un acte d'adhésion à des valeurs et des pratiques communes, mais c'est aussi - qui plus est dans un parti démocratique comme le nôtre-, accepter de débattre en son sein, d'y apporter ses idées et ses réflexions, et lorsque la décision est prise de la respecter et la porter dans l'opinion. On ne peut utiliser un Parti pour obtenir des mandats et des succès, en s'appuyant sur la force et la légitimité d'une organisation collective, et s'en affranchir pour exister dans les médias à des fins de promotion personnelle. On n'appartient pas à un Parti pour s'en servir mais pour le servir. Les militants et même les français exigent de nous du travail, du courage et des idées. Il n'y a pas un jour, mon cher Manuel, où tu n'expliques aux médias que notre parti est en crise profonde, qu'il va disparaître et qu'il ne mérite pas de se redresser. Paradoxalement, tu t'appuies sur nos règles collectives pour appeler à « l'insurrection militante ». Les militants, eux, ont un souhait, c'est que tu mettes ton intelligence et ton engagement au service du Parti et donc des Français. Tes propos, loin d'apporter une solution, portent atteinte à tous les militants et à tous les dirigeants, qui aujourd'hui travaillent à retrouver la confiance avec nos concitoyens. Tu donnes l'impression d'attendre, voire d'espérer la fin du Parti Socialiste. Mon cher Manuel, s'il s'agit pour toi de tirer la sonnette d'alarme par rapport à un Parti auquel tu tiens, alors tu dois cesser ces propos publics et apporter en notre sein tes idées et ton engagement. Si les propos que tu exprimes, reflètent profondément ta pensée, alors tu dois en tirer pleinement les conséquences et quitter le Parti Socialiste. Je ne peux, en tant que première secrétaire, accepter qu'il soit porté atteinte au travail que nous avons le devoir de réaliser. La discipline n'est pas la police des idées, mais la condition de la cohésion et de la réussite d'une équipe. C'est un moment de vérité. Je te demande de me faire part de ton choix dans les jours qui viennent, et d'en assumer toutes les conséquences pour l'avenir. Avec toute mon amitié. Martine AUBRY
leparisien.fr
III- Dossier spécial Manuel Valls à l’adresse suivante :
http://www.alterinfo.net/Dossier-special-manuel-Valls-Par-ma-femme-je-suis-lie-de-maniere-eternelle-a-la-communaute-juive-et-a-Israel_a76397.html
V- Manuel Valls, député-maire socialiste d'Evry : "DSK menotté ? Des images d'une cruauté insoutenable"
Tout en ‘soutenant’ qu’ « il avait les larmes aux yeux !... »
VI : Valls: "porter avec fierté la kippa"
Les juifs de France "peuvent porter avec fierté leur kippa!", a affirmé avec force dimanche 23/09/2012 le ministre de l'Intérieur Manuel Valls.
Très applaudi, il était lui-même coiffé d'une kippa pour participer à la traditionnelle cérémonie des vœux à la communauté juive de France, organisée à la Grande synagogue de la Victoire à Paris.
Il a souhaité à l'assistance "un amical, chaleureux, laïc et républicain Chana Tova" (bonne année, en hébreu).