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Le déni français

Publié par medisma sur 6 Décembre 2012, 22:32pm

Catégories : #lintegral

« La France va connaître son moment de vérité »

 

Un regard étranger et lucide sur l’état du pays et son avenir possible

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Pour Sophie Pedder, chef du bureau de The Economist à Paris, la France joue une partie de son avenir dans les prochaines semaines. Après une campagne électorale durant laquelle les problèmes ont été éludés, le pays a été brutalement rattrapé par la crise avec la stagnation de l’économie et l’envolée du chômage. Cette aggravation de la situation ne lui laisse plus d’autre choix que d’agir, veut croire Sophie Pedder. Avec le budget 2013, les Français ont commencé à réaliser l’ampleur des efforts à fournir mais d’autres vont suivre car la France n’a plus les moyens d’entretenir un Etat- providence si généreux. Pour “les derniers enfants gâtés de l’Europe” que nous sommes – sous-titre de son dernier essai – (*), cette évolution s’apparente à un “choc culturel” tant il est vrai que les Français n’y ont pas été préparés. La journaliste attend aussi beaucoup – tropisme anglo-saxon ? – de la négociation ouverte sur la flexibilité du marché du travail et sur laquelle l’Etat garde la main. “Les prochaines semaines seront décisives. Si la France rate l’occasion, après il sera trop tard.”

121204_livre_SP.gifLes Français, derniers enfants gâtés de l’Europe.” Le sous-titre de mon livre a, je le reconnais, un côté un peu provocateur. Il ne doit pas être pris au premier degré. Mon intention n’est pas de culpabiliser les Français. D’autant moins que les politiques, de droite comme de gauche, n’ont eu de cesse de bercer la population dans l’illusion que tout peut continuer comme avant. Que les Français ordinaires n’aient pas conscience de la réalité n’est pas surprenant tant il est vrai que les hommes politiques ne l’éclairent pas. Vivant en France depuis 9 ans, mes enfants ayant la double nationalité, je me sens concernée par l’avenir de la France. Ma volonté n’est sûrement pas critiquer pour le plaisir mais d’apporter une contribution que j’espère la plus lucide possible pour faire bouger le débat sur l’avenir du modèle français. Ce discours n’est pas facile à tenir mais ma conviction est que la France ne peut plus se permettre de rester inerte.

 

Le déni de réalité

Le vrai sujet de l’économie française – la perte de compétitivité de la France – n’a pas été traité durant la campagne présidentielle. Aussi bien par la droite que par la gauche. Si bien que le pays se retrouve maintenant devant des choix très difficiles, d’autant plus difficiles qu’ils n’ont pas été préparés. Les candidats ont préféré occulter cette réalité alors qu’il était pourtant évident que la situation irait en s’aggravant. C’est pour cela que The Economist a fait cette couverture sur “le déni de la réalité” illustrée par Le Déjeuner sur l’herbe de Manet. L’économie française, stagnante depuis trois trimestres, est rattrapée à son tour par la crise. Il aurait été préférable de préparer la population aux mesures désagréables plutôt que d’asséner brutalement le choc à la rentrée. La chute de popularité de François Hollande et de son Premier ministre était prévisible, elle est à la hauteur de cette impréparation des esprits à la rigueur. Le bon message de la campagne aurait dû être : la France vit au-dessus de ses moyens et il y aura des décisions dures à prendre. En 2010, David Cameron s’est fait élire sur un programme d’austérité. Mais c’est peut-être l’exception qui confirme la règle. Aux Etats-Unis les questions économiques sont au cœur de la campagne et les problèmes essentiels ne sont pas éludés. Certes François Hollande a beaucoup insisté sur la réduction du déficit budgétaire mais il n’est pas allé jusqu’au bout de sa logique en n’expliquant pas comment il allait tenir ses en gagements. D’où le retour brutal à la réalité qui s’opère aujourd’hui.

Le défi de la relégation

La France ne figure plus dans le Top 20 des nations les plus compétitives selon le dernier classement du World Economic Forum alors que la Suède figure à la quatrième place, les Pays-Bas à la cinquième et l’Allemagne à la sixième. Certaines prévisions tout à fait crédibles annoncent que la France, actuellement cinquième puissance mondiale, sera reléguée au neuvième rang en 2020. Ces sombres perspectives mettent au défi le pays et devraient l’inciter à se ressaisir. Les Français ne peuvent pas avoir raison seuls contre tous. Ils ne peuvent pas défier les règles économiques qui s’appliquent à tout le monde.

Un modèle financé à crédit

Le travail à fournir pour redresser les finances publiques est considérable. L’Etat va devoir demander des efforts à tout le monde, la surtaxation des riches et des sociétés n’y suffira pas ! Une diminution de 10 milliards des dépenses publiques représente en soi des coupes importantes. Mais au-delà, la France a besoin de réduire le poids de la dépense publique dans le PIB. Cette dernière pèse 56 % du PIB, un taux parmi les plus élevés d’Europe, y compris la Suède qui est pourtant un pays avec un Etat fort et un Etat- providence développé. Le moment – inévitable – où la France décidera de commencer cette décrue sera un choc. L’ampleur et la générosité du système social français, conçu après la Deuxième Guerre mondiale, excède le niveau de la richesse créée par le pays. Financé à crédit, il est devenu insoutenable.

La remise en cause des privilèges

Le choc aura aussi une dimension culturelle dans la mesure où c’est l’idée même du progrès social – une idée profondément ancrée dans l’esprit français – qui sera remise en cause. Ayant la vision d’un progrès continu et irréversible, les Français estiment que les avantages ne peuvent que s’additionner avec le temps : après la retraite à 60 ans, les 35 heures, etc. Mais ce progrès est radicalement remis en cause par la dette et la perte de compétitivité du pays. Les Français doivent se préparer à la disparition prochaine de certains de leurs privilèges. Non pas parce qu’ils ne les méritent plus mais tout simplement parce qu’ils n’ont plus collectivement assez de richesse pour se les offrir. La crise place la France au pied du mur car en l’absence de croissance la seule alternative à la réforme c’est l’austérité telle que la pratiquent l’Espagne et l’Italie. La faiblesse des taux d’intérêt auxquels la France emprunte donne, il est vrai, un sursis qu’il faut saisir. Les Français sont plus lucides que les hommes politiques. Leur prise de conscience des réalités a progressé. Du côté des politiques, nous ne sommes qu’au début du commencement de la prise de conscience de l’ampleur de la tâche. Certes quelques pas ont été accomplis mais ce ne sont que des demi-réformes, à l’instar de celle des retraites, dossier qu’il va falloir rouvrir pour allonger à nouveau la durée du travail.

Les contre-performances du système

Le modèle social français fonctionne bien dans certains aspects et a même d’indéniables atouts. Un exemple : le fort développement des crèches et des maternelles. Celui-ci encourage tout à la fois les naissances et le travail des femmes. Un vrai avantage comparé par exemple à l’Allemagne. Et la sphère publique sait se montrer dans certains domaines très efficace. Les milliers de copies du baccalauréat sont corrigées en quelques jours alors qu’en Angleterre, cela prend des semaines. Pour autant, le système français recèle d’importantes zones d’ombre. Est-il normal que chaque année 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme, ni qualification ? Il circule bon nombre de mythes et d’idées fausses sur le modèle français qui empêchent de voir la réalité telle qu’elle est. Les Français sont persuadés qu’ils ont l’un des meilleurs systèmes de protection au monde alors qu’il y a trois millions de chômeurs ! Or le chômage n’est-il pas la pire des injustices, surtout pour les jeunes qui, n’arrivant pas à intégrer le marché du travail, enchaînent contrat à durée déterminée sur contrat à durée déterminée ? Le taux de chômage n’est jamais redescendu en dessous de 7 %, même pendant les meilleures années. Il ne s’agit pas de procéder à des coupes aveugles dans les dépenses mais de procéder à une évaluation approfondie de leur efficacité et de faire la chasse à tous les gaspillages et notamment au niveau administratif, à tous ces doublons, entre les communes, les départements, les régions. Une telle suradministration n’est pas justifiée. Il ne s’agit pas de détruire le modèle social mais de le reconstruire sur des bases solides.

Du sentiment anti-riche des Français

La méfiance à l’encontre de la richesse – et surtout des riches qui se mettent en avant – est une forte singularité française. Un comportement complètement paradoxal parce que la France a besoin de créateurs de richesses, de patrons et d’entrepreneurs, parce que sans ces derniers, il n’y a pas de financement pour le modèle social français. La surtaxation à 75 % des hauts revenus est contre-productive. Le principe d’une imposition progressive est totalement justifiable mais à ce niveau de taux, cela devient problématique. Le comble est que cette taxation ne rapportera même pas beaucoup d’argent dans les caisses de l’Etat ; cette mesure adresse aux jeunes un message décourageant du type : “Lancez-vous, créez des entreprises, gagnez bien votre vie mais si vous réussissez trop, on vous confisquera le reste.” Voilà qui n’est guère motivant pour des jeunes entrepreneurs. Il ne faut pas s’étonner de les voir s’interroger s’ils restent ou pas en France. Voilà comment on crée un nouveau frein à la croissance économique dans ce pays !

La réussite suédoise

Plusieurs pays ont conduit avec succès cet effort d’adaptation, comme par exemple la Suède dans les années 90. Ce pays était confronté à une crise dans le secteur bancaire, aussi importante que la crise actuelle, et un déficit qui frôlait les 10 % sur fond de récession très dure et d’envolée du chômage. Face à cette situation, les Suédois ont décidé de réévaluer de fond en comble leur système en axant leurs réflexions sur l’efficacité de la dépense publique. Pas pour importer le modèle anglo-saxon d’Etat faible mais au contraire pour conforter le système. Les Suédois ont conservé l’essentiel de leurs avantages dans le domaine de la santé, de l’éducation ou de la famille mais ces avantages prodigués ont été rendus moins coûteux et donc plus performants. La Suède qui avait perdu à l’époque son triple A l’a regagné, et ses finances publiques qui étaient déficitaires dégagent depuis plusieurs années des surplus. Certes, la Suède n’est pas la France, mais ce pays montre qu’il est possible de repenser un modèle social sans sacrifier l’esprit de solidarité. D’autres pays en ont fait la démonstration. Au Canada, Jean Chrétien a diminué de 15 % les effectifs de la fonction publique, pour autant le pays conserve un Etat fort et il est très loin de ressembler aux Etats-Unis

  L’exemple allemand

Il y a 10 ans, tout le monde disait que l’Allemagne était la “lanterne rouge” de l’Europe. Les Allemands ont eu la lourde responsabilité d’intégrer l’Allemagne de l’Est. Un sacré défi qui a été relevé car tout le monde a fait un effort. Les syndicats ont accepté de moduler la durée du travail et les salaires pour préserver l’emploi. C’est une leçon à retenir pour les Français. Rien n’est perdu, il n’est jamais trop tard mais il ne reste pas beaucoup de temps.

Le test de la flexibilité

François Hollande commence à parler de compétitivité et de réforme du marché du travail. C’est déjà en soi un progrès. Reste à savoir ce qu’il sortira des négociations engagées entre les patrons et les syndicats sur le marché du travail. Ce sera un moment de vérité. Les partenaires sociaux parviendront-ils à un accord sur l’assouplissement des règles du marché du travail ? Le gouvernement leur a donné trois mois, ce qui n’est pas irraisonnable pour tester les mérites de cette méthode consultative. Mais au terme de cette période, s’il n’y a pas d’accord, l’exécutif devra trancher. Et c’est à ce moment-là que l’on verra s’il a le courage d’imposer la réforme.

Le risque social

Il y a toujours un risque en France de manifestation. Les Français aiment bien descendre dans la rue… Question : les syndicats qui descendent dans la rue représentent-ils vraiment l’opinion publique en France ? Je n’en suis pas convaincue. La réforme des retraites de 2010 a soulevé des oppositions apparemment très fortes mais je constate qu’une fois le texte adopté, les Français sont passés à autre chose très vite. Il y a beaucoup de théâtre dans la protestation en France, mais après le grand cri de colère, les Français acceptent parce qu’au fond d’eux-mêmes ils ont compris qu’il n’était pas déraisonnable de leur demander de travailler plus. Les Français sont plus lucides qu’on ne l’imagine. A l’occasion de mes reportages sur le terrain pendant la campagne, j’ai souvent rencontré plus de lucidité chez les Français qu’à Paris, dans les médias et les débats nationaux.

L’urgence de l’emploi

La première mesure à prendre est d’alléger les charges sociales sur les emplois. Combien d’employeurs sont empêchés de conserver leur activité dans l’Hexagone en s’appuyant sur le label du “made in France” en raison d’un coût de la main- d’œuvre trop élevé du fait du poids excessif des charges sociales ? C’est un drame pour la France : le système supposé protéger l’emploi décourage les employeurs de recruter. Il y a dans le code du travail tellement d’éléments contraignants pour les entreprises que cela étouffe la croissance. Pourquoi en France y a-t-il un si grand nombre d’entreprises dont les effectifs sont bloqués à 49 personnes ? Parce que le seuil des 50 déclenche toute une série d’obligations nouvelles ! Un dispositif contre-productif qui incite – ce qui est un comble ! – les entreprises à rester petites et à ne pas vouloir grandir. C’est dramatique pour l’économie française, pour la création de richesses, et pour la création d’emploi.

L’agenda politique

La volonté réformatrice s’exerce toujours au début d’un mandat. Le Parti socialiste dispose de tous les pouvoirs – de la présidence au Parlement en passant par les régions. S’il rate cette occasion, après il sera trop tard car la perspective des prochaines élections freineront l’action. Le redressement de la France se joue donc d’ici à la fin de l’année. Les semaines prochaines seront cruciales. Gerhard Schröder qui a mené les réformes en Allemagne à partir de 2003 a dit qu’il regrettait de ne pas avoir agi plus tôt et d’avoir perdu du temps. Ce sentiment est partagé par tous les dirigeants réformateurs. Pour les socialistes français, les réformes c’est vraiment maintenant ou jamais. Si François Hollande souhaite être réélu, il vaut mieux qu’il agisse maintenant, car cela lui laisse quatre ans pour recueillir les fruits des réformes. Quand son prédécesseur Nicolas Sarkozy a lancé début 2012 l’idée de la compétitivité emploi, il était bien trop tard. Un tel discours n’était plus audible en fin de mandat. L’idée de faire deux ans d’efforts et de réformes pour récolter après les fruits est un scénario réaliste. Ce qui l’est moins dans un contexte de faible croissance est la prévision d’une baisse du chômage dès la fin de 2013. Ce qui importe est d’agir tout de suite, de donner une suite aux négociations et de marteler le message. Il faut faire comprendre à la population que l’effort qu’on lui demande est justifié, nécessaire et qu’il sera bénéfique à terme.

La France au pied du mur

 

La présentation du budget qui a dévoilé la réalité de l’effort a constitué un premier choc. Le redressement de la France se joue sur la négociation, sur la réforme du marché du travail et la réforme de l’Etat-providence pour redonner de la compétitivité et de la flexibilité au système. Les semaines prochaines seront cruciales. Paradoxalement, la crise de l’euro pourrait aider la France en rendant les réformes encore plus urgentes et parce que les Français voient très bien ce qui se passe en Italie ou en Espagne. Et pour éviter ce destin, ils savent qu’il faut agir. Les politiques ont commencé eux-mêmes à bouger lorsque la perspective d’une dégradation de la note de la France est apparue. C’est à partir de ce moment que le modèle allemand a été cité en exemple peut-être à suivre. La crise dans la zone euro pourrait imposer aux Français un sentiment d’urgence pour agir. Cela serait le seul côté positif d’une crise, ce qui n’est pas une bonne nouvelle en soi.

 

Bio express :
Depuis 2003, Sophie Pedder est le chef du Bureau et la correspondante politique et économique de The Economist à Paris. Elle est l’auteur du livre Le Déni français aux éditions JC Lattès, dans lequel elle jette un regard critique, nourri par les chiffres et l’analyse, sur les limites du “modèle” français. Elle est diplômée de l’université d’Oxford (1988) et en sciences économiques et sociales de l’université de Chicago, où elle était également Fulbright Scholar (1989)...

 Source : Le Nouvel Economiste

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